A Kongoussi, Abdoulaye Niampa dit Rasta est célèbre pour être un croque-mort pas comme les autres. Sans rien exiger en retour, c’est lui qui sort des décombres, les victimes d’éboulements, enlève et enterre les victimes d’accidents et bien d’autres cas aussi macabres.
C’est l’homme qui n’a pas peur de la mort. C’est de façon discrète que Abdoulaye Niampa prend place au milieu sur un banc devant la boutique de Idrissa Sawadogo au marché de Kongoussi au moment où le muezzin lance l’appel de la prière de 18 heures.
Après lui avoir servi un verre de thé vert, Idrissa Sawadogo chez qui nous l’attendions le présente : « Voici l’homme que vous cherchez » en indexant un grand gaillard, portant des dreadlocks courts, la barbe bien développée, arrivé quelques minutes plus tôt. « Je viens juste d’enterrer un corps à l’entrée de la ville. La personne a fait un accident. On m’a appelé et je suis allé aider », explique Abdoulaye Niampa tout en s’excusant pour son retard.
«La personne a fait un accident à l’entrée de la ville. J’ai démarré sans savoir qui c’était. Quand je suis arrivé, je me suis rendu compte que je connaissais la victime», raconte-t-il, l’air impassible.
Plus connu par le nom de Rasta, Abdoulaye est un croque-mort célèbre dans sa localité. Ce cinquantenaire, qui ne fait pas son âge, est toujours là quand il s’agit d’enlever les corps accidentés, piégés dans des éboulements, les mort-nés où les cadavres sans propriétaire, etc. « Les corps que les autres refusent d’approcher, c’est moi qui gère ça », précise-t-il d’une voix posée.
Croque-mort depuis l’adolescence
Tout a commencé, après la chute d’un camion d’un pont il y a une trentaine d’années, voire plus car, le narrateur ne se rappelle même exactement de la période. L’accident a fait huit morts. Adolescent à l’époque, Abdoulaye aide à sortir et enterrer les cadavres comme si de rien n’était. « Je me rappelle que j’étais le plus petit au milieu de ces grandes personnes. J’aidais à sortir les corps sans aucune peur. Tout est parti de là », se souvient-il.
Mais, c’est à la suite de l’éboulement dans une mine d’or artisanal qu’il commence à se faire une réputation. Personne n’osait sortir les cadavres des décombres. Malgré le danger, il réussit à faire sortir les corps décompensés des décombres afin de leur permettre d’avoir des sépultures. Depuis lors, Abdoulaye Niampa est sollicité presque partout. « Mon numéro se trouve à la morgue de l’hôpital. S’il y a un décès et que le défunt n’est pas accompagné, on va m’appeler », assure Abdoulaye.
Les appels, il les reçoit à tout moment. « Mais jamais, je n’ai refusé une seule fois de venir aider. Quelle que soit l’heure, insiste-t-il, Quel que soit l’endroit où je suis, on m’appelle. Même si je suis hors de Kongoussi, à Ouaga et qu’il y a un problème, on va m’appeler pour que je vienne déterrer et enterrer des corps ». Abdoulaye n’attend même plus d’être sollicité avant d’intervenir. « Comme ce soir, dès que j’ai appris l’accident, je me suis rendu là-bas pour aider. C’est un comme un devoir», lâche-t-il.
Supporter la puanteur
Qu’est ce qui est le plus effrayant dans ce travail de croque-mort bénévole? Quand la question lui est posé, il lève la tête, marque une pause, réfléchit puis finit par répondre en remuant la tête de gauche à droite : « Je ne vois rien. Il y a des jours je reviens de ces enterrements, je ne me lave même et je me couche directement comme s’il ne s’était rien passé. Ça ne me dit rien ».
A Kongoussi, certains estiment qu’il détient des pouvoirs surnaturels, le « wack», pour supporter les puanteurs. Ce polygame, père d’une dizaine d’enfants en sourit plutôt. « Ce que je fais, c’est avant tout le courage. Si tu n’es pas courageux, tu ne peux aller ramasser un corps en décomposition, que les charognards ont parfois commencé à bouffer et aller l’enterrer », dit-il. Il admet quand même bénéficier de «protection».
Les exactions de groupes armés, présents dans la province, conduisent souvent à des tueries contre des populations civiles et même militaires. Les corps sont souvent abandonnés, pendant plusieurs jours. Il ne compte plus les fois où il a dû intervenir. « Cette année, le nombre de cadavres que nous avons enterrés, on ne peut pas compter. Surtout cette année, on ne peut pas en parler. Parfois, ce sont les charognards qui ont mangé et laissé sur place, nous partons faire ce qu’il faut ».
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C’est avec gêne que Mariam Gansonré parle de l’activité de son mari qu’elle semble approuver : « Je trouve qu’il aide les gens. Certains viennent le remercier ici. Pour cela, nous sommes avec lui », témoigne Mariam Gansonré, l’une de ses deux épouses.
Sa mère, par contre, a tenté de s’opposer au départ sans succès. Elle a fini par s’y faire. « Certains apprécient mais, il y a parfois des gens qui me croisent et me disent que j’ai laissé mon enfant pratiquer une activité macabre. Je leur explique que c’est son choix d’aider les autres ».
Abdoulaye Niampa n’est plus seul. « Un petit », l’accompagne désormais. Même s’il n’est pas rémunéré, il ne compte pour rien au monde y renoncer.
Boukari Ouédraogo