Après une première tentative manquée en 2015, Zéphirin Diabré se lance une fois de plus à la conquête de Kosyam, la présidence burkinabè. Chef de file de l’opposition politique, cet économiste de 61 ans va jouer son va-tout dans une compétition qui promet la redistribution des cartes sur l’échiquier politique national. La bataille s’annonce rude pour le ‘’lion’’ diminué par une vague de démission dans sa tanière.
Dans la tanière du lion (l’emblème de l’Union pour le progrès et le changement), on prépare une revanche. Zéphirin Diabré, président de ce parti d’opposition n’a pas digéré la défaite de 2015, alors que c’est lui, chef de l’opposition politique d’alors, qui avait conduit la lutte jusqu’à l’insurrection populaire, avec à la clé le déboulonnage de Blaise Compaoré le 31 octobre 2015, en poste depuis 27 ans. Mais à élection présidentielle du 29 novembre 2015, il est battu par ceux qu’ils appellent les « apprentis de Blaise Compaoré », et qui, quelques mois plus tôt, avaient quitté le navire du pouvoir pour le rejoindre dans la rue. Pour les proches de l’opposant, cela s’apparentait à une usurpation des fruits d’une lutte de longue haleine.
Depuis Zéphirin Diabré ne cesse de le dire : « Ce fut une erreur de la part des électeurs ». Encore en lice pour la présidentielle du 22 novembre 2020, il croit fermement que c’est le moment de prendre sa revanche, réparer l’erreur. « Je peux gouverner ce pays avec le MPP à ma gauche et le CDP à ma droite et vice versa», déclarait-il dans le quotidien d’Etat Sidwaya, le 27 juillet 2020. Pour lui, le bilan de président sortant Roch Kaboré qu’il juge « calamiteux » joue en sa faveur. « On a cette impression que le gouvernement actuel n’a pas compris l’esprit de l’insurrection. La corruption est repartie au galop. Beaucoup de maux qu’on a dénoncés ensemble sont côte à côte dans les artères de la ville de Ouagadougou, on dirait qu’une fois arrivés au pouvoir, ils ont oublié. Et c’est cela qui fait le lit du grand mécontentement », ruminait-il le 24 avril 2017 à l’émission « Grand déballage » sur la télévision Burkina Infos. Ses invectives et complaintes, il les adresse aux nouveaux tenants du pouvoir qu’il connait pour avoir travaillé avec certains d’entre eux.
Un ancien produit du régime Compaoré
Né le 26 août 1959 à Ouagadougou Zéphirin Diabré, est originaire du Village de Foungou, dans le département de Gomboussougou, province du Zoundwéogo dans le Sud Est du pays. Titulaire d’un baccalauréat C obtenu en 1978, il s’envole pour l’hexagone pour poursuivre ses études. En 1987, il obtient un Doctorat en Sciences de Gestion à l’université de Bordeaux en France. A cette époque déjà, le jeune étudiant burkinabè se fait remarquer en créant avec quelques camarades dans la région de Bordeaux, le comité Anti Apartheid de Bordeaux, qui a lancé des campagnes actives pour la libération de Nelson Mandela et pour le boycott des produits sud-africains.
Quand Zéphirin Diabré rentre au pays en 1987, il enseigne l’économie à l’université de Ouagadougou comme professeur assistant à la Faculté des sciences économiques et de gestion. Très tôt, il commence à se faire un nom grâce à la qualité des enseignements dispensés. «Nous étions dans le même bureau, c’était en 1989. A cette époque, les étudiants appréciaient beaucoup ses cours, ne ce reste que par les applaudissements nourris, et la façon dont l’écoutaient religieusement. Je l’invitais à venir s’entretenir avec mes étudiants, à faire des discussions sur certains aspects de son domaine. Les étudiants l’appréciaient beaucoup. Et lui aussi me rendait la pareille en m’invitant», se rappelle le Pr Idrissa Ouédraogo, secrétaire national chargé des études, la prospective et de la mobilisation des experts à l’Union pour le progrès et le changement, et par ailleurs, chargé du programme présidentiel de Zéphirin Diabré.
Zéphirin Diabré sera vite coopté par le pouvoir de Blaise Compaoré. ‘’Zeph’’, comme l’appellent ses proches sera élu député aux législatives de juin 1992 pour le compte de la province du Zoundwéogo sous la bannière du parti au pouvoir de l’époque. Quelques semaines après, il est appelé au gouvernement en qualité de ministre du commerce, de l’industrie et des mines. En août 1997, alors qu’il vient d’être réélu député, il démissionne, abandonne un temps la politique. Il rejoint alors la célèbre Harvard Institute for International Development aux Etats unis d’Amérique. Par la suite, il est propulsé au poste de Directeur général adjoint du Programme des nations unies pour le développement (PNUD). Nous sommes en novembre 1998 et l’économiste burkinabè devient le premier africain à occuper ce poste. En janvier 2006, après avoir passé 7 ans au PNUD, Zéphirin Diabré démissionne pour retourner dans le secteur privé. Il rejoint le groupe nucléaire AREVA comme Président Afrique et Moyen Orient, et Conseiller pour les questions internationales.
Du FOCAL à l’UPC
En mai 2009, avec quelques camarades, ‘’Zeph’’organise le Forum des citoyens pour l’alternance (FOCAL). Véritable moment d’introspection sur l’avenir de la démocratie burkinabè, cet évènement a posé pour la première fois et de manière publique, la question alors évitée de la succession de Blaise Compaoré. Dès le forum terminé, les appels se font incessants pour que Zéphirin Diabré et ses camarades s’engagent de manière plus formelle en politique. C’est ce qui sera fait avec la création de l’Union pour le Progrès et le Changement, le 1er Mars 2010.
En décembre 2012, soit moins de deux ans d’existence, l’UPC obtient plus de 1600 postes de conseillers municipaux, 19 députés et 19 maires. Zéphirin Diabré devient par cette occasion Chef de file de l’opposition. C’est à ce titre qu’il mènera la lutte pour empêcher Blaise Compaoré de briguer un 3e mandat. Quand il se présente pour la première fois à l’élection présidentielle du 29 novembre 2015, il arrive deuxième avec 29,65 % des suffrages après Roch Kaboré. Comme une consolation, le parti du lion conserve sa place de principal parti d’opposition avec 33 députés sur les 127 que compte le pays.
Un lion diminué
Zéphirin Diabré s’engage pour la deuxième fois à la course pour le fauteuil présidentiel. Mais son parti est secoué par une série de démission. Des députés, des membres influents du parti ont quitté le navire. Les crocs du lion sont-ils encore acérés ? « Les crocs sont plus acérés. Mais vous avez raison. C’est le sentiment qu’on a vu tout ce qu’on a vécu comme péripétie, et problèmes ces derniers moments (…) Je disais à des amis que Zéphirin est très fort. Personnellement je ne pense que j’aurais tenu. Il tient le coup (…) A l’interne nous sommes bien soudés, résilients. Nous avons récupérés des forces pour nous jeter dans cette bataille », répond Pr Idrissa Ouédraogo, le chargé du programme présidentiel du candidat.
Adama Sosso, directeur national de campagne de l’UPC lui également croit que cette fois, Zéphirin Diabré passera. « En 2015, le parti n’était pas présent dans toutes les provinces. Nous savions déjà qu’il serait difficile, mais aujourd’hui, il n’y a pas ce seul village, cette commune où l’UPC n’est pas là. En tenant compte de notre organisation interne, de notre force intrinsèque, nous pensons que cette élection nous est plus favorable que celle de 2015. en 2015, Il y a le MPP qui venait d’être crée, qui avait vendu une image. Les gens ont voulu compter sur l’expérience, ils ont échoué. Cette année sera plus facile qu’en 2015 », se convainc-t-il.
Le 18 mars 2019 devant la presse, Zéphirin Diabré déclarait qu’:« au regard de la situation du pays, au regard des échecs plus que patents et notoires de ce régime, le un coup KO de l’opposition au MPP est une réalité tangible » Présenté comme un homme rigoureux, qui accorde du prix au travail bien fait, il veut donc « sauver le Faso » qui selon lui, est au bord du gouffre . Zéphirin Diabré joue peut-être à cette élection présidentielle, la carte de son avenir politique.