Le vieux Yacouba coulait paisiblement ses vieux jours dans un village de Gorom-Gorom dans le Sahel Burkinabè. Entouré de sa nombreuse famille constituée entre autres de ses 11 enfants, il vivait de l’élevage de chameaux, bœufs, moutons…Puis, en un jour sa vie bascule à la suite d’une attaque de groupes armés. Le vieux Yacouba qui était rentré dans son natal une année plus tôt, après plus de 45 ans passés en Côte d’Ivoire où il a fait ses économies, perdait ainsi le labeur de toute une vie. Déplacé à Ouagadougou, il mendie pour nourrir et scolariser ses enfants.
El hadj Yacouba…environ 70 ans, barbe et cheveux blanchis et légèrement jaunis, certainement du fait de ses conditions de vie. Assis sur des pneus aménagés pour lui et pour ses visiteurs, mais aussi servant d’enclos pour la volaille qu’il reçoit en offrandes.
L’homme est sympathique et s’exprime bien en français. « J’ai grandi en Côte d’Ivoire où j’ai passé 45 ans. Je m’y sentais bien (…) J’ai été boy et gardien à Abidjan et à Bouaké. La nuit j’étais gardien et dans la journée je partais dans mon champ d’igname« , se rappelle le vieux Yacouba.
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Au bout d’environ 45 ans, El Hadj a pu s’acheter trois maisons et d’autres biens. Quand son patron décède, il décide de rentrer dans son pays, le Burkina Faso. Il rejoignait ainsi ses deux enfants envoyés un an plus tôt, suite à des difficultés financières, pour la poursuite de leur cursus post-bac.
El hadj, déplacé interne
Pour ce faire, nous a-t-il confié, il vend tout ce qu’il avait comme biens, sauf une boutique laissée avec une connaissance. Les poches bien pleines, il rentre dans son village situé vers Gorom-Gorom, où il investit dans l’élevage de bœufs, moutons, cabris, chameaux…, et fait un bon stock de vivres.
La nouvelle vie de El hadj entouré de sa famille était paisible jusqu’au jour où tout bascule. « Les gens là (Ndlr. groupes armés) sont venus nous chasser. Ils son arrivés sur 40 motos avec deux personnes armées sur chaque moto. Cela fait 80 fusils ! J’ai fui avec tous mes enfants», se remémore-t-il, avec une certaine mélancolie.
El hadj, avec sa famille apeurée, rejoint d’abord Ouarmini ( localité située à 15 kilomètres au Nord de Saponé et à 2 km au Sud-Est de Bassemyam dans le département voisin de Komsilga sur la route régionale 33). « Là-bas j’ai fait trois mois sous un hangar. La pluie nous battait là-bas. On couvrait certaines affaires avec des sachets plastiques. C’est suite à cela que je suis venu à Ouagadougou », poursuit le déplacé.
La vie à Ouagadougou…
Tout ne passe comme prévu à l’arrivée du vieux Yacouba dans la capitale. Sa situation empire. Le poids des responsabilités familiales conjuguées à celui de l’âge s’entremêlent. Un bon samaritain lui offre le gîte où il habite jusque-là avec sa famille. Mais comment nourrir, soigner, sinon scolariser une famille de 11 enfants ?
« Si vous me voyez ici en train de mendier, c’est parce que je suis obligé de le faire. Ce n’est pas parce que je veux ça. Même si quelqu’un veut me tuer, c’est ici il va me tuer. Je ne compte pas bouger pour rentrer et ne pas avoir à manger. Ça fait deux ans que je suis ici. Mes enfants vont à l’école », raconte le déplacé devenu mendiant.
Présent au marché des mendiants ou marchés de sacrifices à la zone SONATUR de la Patte d’Oie, un quartier au sud de la capitale burkinabè, de 6h à 16 ou 17h, El hadj fait comprendre qu’il y a eu un moment où il pouvait avoir « 10 000 F CFA ou 15 000 F CFA par jour … Aujourd’hui si tu as 5000 F CFA, tu as beaucoup eu. Souvent on ne gagne même pas 2000 F CFA par jour. Parmi ceux qui viennent faire des sacrifices, il y en a qui donnent de l’argent, des habits, des céréales, des galettes… Si tu as la chance, il y en a qui peuvent te donner 5000 ou 10000 F CFA. Mais cela n’arrive pas tous les jours », poursuit-il.
Tout en sacrifice sauf canard, porc et chien
Mais après deux ans dans la mendicité, El hadj compte se reconvertir en commerçant. Du reste, il dit avoir pu s’acheter une parcelle dans une zone non lotie et est en chantier. Il a prévu une boutique sur cet espace : « Si Dieu me donne la santé et les moyens je vais mettre des marchandises et aller là-bas. Sinon la mendicité n’est pas mon travail ».
Nous confiant qu’aucun autre membre de sa famille ne mendie, El hadj dit avoir un peu appris l’arabe. C’est dans cette langue qu’il fait des invocations et prières pour ceux qui viennent lui faire des sacrifices. Yacouba le déplacé mendiant dit accepter presque tout, sauf des chiens, porcs ou canards.
Boureima Dembélé