La mendicité est un phénomène social très ancien qui prend de l’ampleur dans les villes africaines dont Ouagadougou, la capitale burkinabè. Il a atteint un niveau au point qu’il existe une sorte de marché que l’on peut appeler marché des sacrifices ou « dooss yaar », en langue locale mooré. Visite de ce marché de sacrifices qui s’apparente à un centre d’affaires pour mendiants au cœur de la capitale.
Des enfants, des femmes avec leurs jumeaux, des handicapés moteurs et aveugles, des personnes âgées. Ainsi se compose la foule de mendiants au marché des sacrifices situé à la zone SONATUR (Société nationale d’aménagement des terrains urbains) du quartier Patte d’Oie, sud de Ouagadougou, non loin du Rond-point, à droite, en allant vers le Centre hospitalier universitaire de Tengandogo. A côté de ces mendiants se trouvent des femmes qui vendent les objets de sacrifices : galettes, colas, œufs, céréales, bagues, lait…
La plupart des vendeurs d’objets de sacrifices sont des femmes. De l’avis de l’une d’elles, les objets de sacrifices qu’elle vend s’achètent bien. Sans accepter nous donner de chiffres, elle assure qu’elle fait de bonnes recettes journalières. Elle dit s’approvisionner en ville, mais que certains mendiants leur revendent les offrandes. Elle nous a soufflé qu’il n’est pas rare de croiser des galettes vieilles d’un an ou plus sur le marché des sacrifices, à force d’être, en circuit fermé, données en offrandes, puis revendues, achetées et ensuite redonnées en offrandes.
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L’occupation de l’espace pose problème, selon le témoignage d’une autre vendeuse : « A l’heure- là, il n’y a pas le marché. Mais ce qui nous fatigue le plus, c’est le fait que la Police nous dise de quitter les lieux. Ils ont raison, mais c’est parce qu’on n’a pas le choix, c’est avec ça qu’on a de quoi se nourrir. Donc c’est difficile! Ils disent de quitter les lieux parce que des gens venus pour faire leur sacrifice se font voler… et les policiers disent que c’est parce qu’on est là qu’il y’a des voleurs, des bandits… Mais comme on n’a nulle part où aller, on va faire comment ? On n’exerce pas d’autres activités, c’est notre seule source de revenus ».
Une population de 100 voire 200 mendiants
A en croire un témoin, le marché de sacrifices existe depuis 10 ou 15 ans, sinon plus et compte selon ses estimations, 100 voire 200 mendiants. C’est visiblement un lieu hautement ancré dans les pratiques magico-religieuses, puisque les croisements de voies et certains axes sont jonchés par des sacrifices. En plus, même s’il est de part et d’autre de plusieurs routes, ceux qui passent vers le marché des sacrifices sont le plus souvent des gens qui viennent pour des offrandes aux mendiants.
C’est ce que nous avons pu constater. De la cola, un paquet de sucre, un coq blanc, des dattes, de l’argent… ont été donnés à des mendiants sous nos yeux. Approchées, la plupart des personnes venues pour leurs « besoins » n’ont pas voulu s’exprimer, estimant que c’est trop « personnel ».
Moustapha Thiombiano qui est venu remettre un coq blanc et d’autres choses à un vieux mendiant nous a fait savoir que « le sacrifice, c’est quand tu veux demander quelque chose à Dieu, tu achètes un poulet, un mouton ou autre chose, tu vas donner à quelqu’un et c’est le message pour demander à Dieu ». A la question de savoir comment déterminer quoi donner aux mendiants, notre interlocuteur a avancé que « les gens sont spirituels à des degrés différents. Moi j’ai fait un rêve et je sais ce que je devais donner et c’est ça je suis venu donner. Mais certains vont chez les voyants, marabouts et autres devins… Chacun a sa manière de faire. J’ai donné un coq blanc pour qu’il parte préparer manger avec sa famille ».
Les mendiants qui reçoivent les offrandes remercient leurs donateurs et formulent à leur endroit des prières et invocations. Le « message à Dieu !».
El hadj, la soixantaine, cheveux blancs jaunis certainement par les épreuves, l’air sympathique, nous fait savoir qu’ « avant on pouvait avoir 10 000 F CFA par jour, ou même 15 000 F CFA. Aujourd’hui si tu as 5000 F CFA, tu as beaucoup eu. Souvent on ne gagne même pas 2 000F CFA par jour », a-t-il fait savoir. Il explique que sa présence en ces lieux, c’est pour espérer trouver de quoi entretenir sa famille nombreuse de 11 enfants.
El hadj a aussi fait savoir que ceux qui viennent faire des sacrifices donnent de l’argent, des habits, des céréales, des galettes… «Si tu as la chance, il y en a qui peuvent te donner 5000 ou 10 000 F CFA. Mais cela n’arrive pas tous les jours », a-t-il lancé, l’air songeur.
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Présent au « job » de 6h à 15h ou 16h, El Hadj dit tout prendre en offrandes sauf le canard parce que c’est son totem, le chien et le porc à cause de ses convictions religieuses.
Pour ce qu’il fait des objets de sacrifices reçus, il confie qu’« il y a des gens qui sont là pour acheter ce qu’on gagne comme cola, même les poulets ils achètent. Mais je ne vends pas les céréales, je rentre avec ça à la maison. Si tu as beaucoup d’enfants tu gagnes les céréales et tu vends, ce n’est pas sûr que l’argent de la vente puisse servir à acheter des céréales », s’est-il épanché.
Plus loin, un groupe de mendiants, des enfants qui ne connaissent pas leur propre âge, mais qui pourraient avoir selon notre estimation 11 ou 12 ans, s’exprimant en langue locale mooré, nous font savoir qu’ils sont au « dooss yaar » tous les jours, venant le matin pour rentrer dans la soirée. Aussi, ils expliquent qu’on leur donne de l’argent, de la nourriture et bien des choses. Sur l’argent qu’ils gagnent, ils ont l’obligation « de remettre 2 000 F CFA chaque vendredi » à leur maitre coranique.
Une étude qualitative de l’Institut national de la Statistique et de la Démographie du Burkina Faso en avril 2011 avait relevé qu’au-delà du caractère avilissant de la mendicité, c’est une pratique qui tire son origine dans la pauvreté, le handicap, le manque de soutien, le prolongement de la mendicité des
enfants, l’exclusion sociale et le manque de protection sociale et la recherche du gain
facile.
Le Code pénal en sa Section 5 (articles 242 à 249) évoque des interdictions autour de la mendicité et des peines d’emprisonnement y liées. Dans ce sens, l’article 242, par exemple, dit ceci: « Est puni d’un emprisonnement de deux à mois, quiconque, ayant des moyens de subsistances ou étant à mesure de se les procurer par le travail, se livre à la mendicité en quelque lieu que ce soit ».
Boureima Dembélé