En 2023, près de 23,43% des écoles du Burkina ont fermé, affectant plus d’un million d’élèves dont certains errent, sans perspective. Depuis 2015, les pouvoirs civil et militaire qui se sont succédé n’ont pas pu freiner la fermeture des établissements d’enseignement. De 3 280 écoles fermées au coup d’Etat qui a renversé Roch Kaboré, le nombre a évolué à 4 258 sous Paul Damiba pour s’établir à 6 149 au 31 mai 2023 sous le pouvoir de Ibrahim Traoré. L’introuvable solution d’une équation perturbée par les coups de canons.
Moustapha Zibongo, 16 ans, écrase une larme. La peine se lit sur son jeune visage. Originaire de Yamba, village situé à une vingtaine de km de Fada N’gourma dans la région de l’Est, il avait réussi malgré moult péripéties, à décrocher son Certificat d’études primaires. Après l’arrestation de quatre jeunes du village en décembre en 2021 par des présumés terroristes, les menaces des groupes armés se sont intensifiées sur son école qui a fini par fermer.
Alors qu’il espérait continuer son cursus à Fada, il découvre avec tristesse que son nom ne figure pas sur la liste des demandeurs de places dans les établissements publics. « Je risque d’abandonner l’école. Mes parents n’ont pas les moyens pour m’inscrire dans un lycée privé », murmure l’adolescent avec peine en ce début d’année scolaire 2022-2023. Le vœu de Moustapha de devenir enseignant des lycées et collèges est en sursis. Son rêve s’est enfermé dans l’école de son village.
Lire aussi: Axe Fada-Pama, le diktat des terroristes, le martyr des transporteurs
Même peine pour Aimé Bagré, qui après avoir échoué à son examen du Brevet d’étude du premier cycle (BEPC) l’année écoulée, espérait une place au Lycée Diaba Lompo de Fada N’Gourma, le plus grand établissement scolaire de toute la région de l’Est, pour tenter sa chance. Son échec de l’année précédente, le jeune élève le met sur le dos de la fermeture de son école.
« On n’a pas fait plus de 4 mois de cours. Un jour, ils (groupes armés, Ndlr.) sont venus dans notre village, ils ont brûlé les écoles et les professeurs ont fui. C’était la fin de l’année », se rappelle-t-il, avec amertume. Pour lui également pas de place. Les établissements croulent sous le poids des demandes. Des milliers d’élèves affluent dans la capitale de la région de l’Est, en provenance de plusieurs provinces, dans l’espoir de continuer leur cursus.
Au-delà des capacités d’accueil
François Xavier Ouédraogo, directeur provincial des enseignements post primaires et secondaires de la province du Gourma. C’est un homme dans l’impasse, limité aux projections les plus sombres. « Si on ôte l’espoir à ces enfants, ce qui nous arrive aujourd’hui sera meilleur à ce qui va nous arriver demain. Tous ces enfants qui ne vont pas allés à l’école, qu’est-ce qu’ils vont devenir ? J’ai dit aux chefs d’établissements que s’ils ne leur trouvent pas de places, ce sont eux qui vont venir nous braquer, violer nos enfants, parce qu’ils nous en veulent et qu’ils vous en voudront toute leur vie », fulmine le directeur, visiblement impuissant.
Pourtant dans une note du secrétaire général chargé de l’Education nationale, en date du 21 septembre 2021, le gouvernement invitait à l’inscription ou à la réinscription systématique de tout élève déplacé demandeur de place dans un établissement. Adressée aux directeurs régionaux, aux chefs d’établissement et aux directeurs d’écoles, la note signée du Pr Kalifa Traoré martelait « l’obligation pour chaque acteur à quelque niveau qu’il soit, de prendre les dispositions qui s’imposent pour l’inscription et la réinscription » des demandeurs de places. Une note dont le bénéfice ne profite pas à Moustapha Zibongo, Aimé Bagré et bien d’autres.
Dans la région de l’Est, le nombre d’écoles fermées est passé de 811 en 2021 à 1090 en 2022. En fin mai 2023, le nombre a connu une légère baisse et s’établit à 1073, affectant 182 140 élèves selon les chiffres du Secrétariat technique de l’éducation en situation d’urgence.
Des chiffres en hausse au plan national
La région de l’Est fait partie des régions où l’école suffoque sous la pression des groupes armés. Si le phénomène a commencé dans la province du Soum, considérée comme là où sont parties les premières attaques terroristes, telles des tentacules, la fermeture touche désormais 11 régions sur 13. Seulement le Centre où est située la capitale, Ouagadougou, et le Plateau central, n’enregistrent pas de fermeture d’écoles.
« Durant toute l’année scolaire 2022-2023, le nombre de structures éducatives fermées n’a fait qu’augmenter. De moins de 5000 à la rentrée, nous sommes à 6149 structures éducatives fermées en fin mai. Ce qui représente à peu près ¼ de structures éducatives, à peu près 23,43% de structures éducatives du pays ». Constat implacable de Germaine Kaboré, secrétaire technique de l’éducation en situation d’urgence.
Lire aussi: Réinsertion scolaire, un stage de recyclage pour des élèves déplacés internes
Des chiffres que Souleymane Badiel, secrétaire général de la Fédération des syndicats nationaux des travailleurs de l’éducation et de la recherche (F-SYNTER) dit accueillir avec inquiétude et désolation, au regard de leur l’ampleur « et des conséquences innombrables et catastrophiques que cela engendre ou engendrera à la fois pour la jeunesse, le système éducatif et la société dans son ensemble ».
Dans un communiqué de presse en date du 21 mars 2023, l’UNICEF s’alarme que le Burkina Faso abrite près de la moitié des écoles fermées d’Afrique Centrale et de l’Ouest. Le nombre d’écoles fermées dans les autres pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique Centrale pour cause d’insécurité s’élève à : 1 762 au Mali, 1 344 en RDC, 878 au Niger, 3 285 écoles au Cameroun, 181 au Nigeria, 13 en République centrafricaine et 134 au Tchad.
Méthode de sauvetage
Ouahigouya, à plus de 180 km de la capitale, dans la région du Nord. Au secteur 11, trois salles de classe pas comme les autres. Des tentes couvertes de bâches bleues. Ce sont des espaces temporaires d’apprentissage (ETA) mis en place pour accueillir certains établissements des villages délocalisés. Ils sont 6 dans la ville. « C’est vraiment temporaire; l’année prochaine on espère que comme c’est temporaire peut-être on va venir réfectionner. Vous voyez vous-même les portes commencent à s’enlever », explique le responsable d’un ETA, Abel Ouédraogo.
Selon le directeur provincial des Enseignements post primaire et secondaire du Yatenga, Drissa Belem, «les ETA ont permis de maintenir 7155 élèves déplacés internes dans la province».
Autre lieu. Le Sourou, province située dans la région de la Boucle du Mouhoun qui enregistre le plus gros effectif des écoles fermées au plan national avec 1247 établissements touchés. Nous sommes à plus de 150 km de Ouagadougou. Assis sur des nattes, sous un hangar et autour d’une radio, des enfants déplacés internes écoutent les leçons diffusées par un poste récepteur.
« Bonjour et bienvenue dans ‘’je veux apprendre’’, le programme radio d’enseignement du calcul, de la lecture et de l’écriture partout où vous vous trouvez. Je suis monsieur Hama, votre enseignant », peut-on entendre à travers le transistor. C’est le programme d’éducation par la radio (PER). De l’avis de Clarisse Ouédraogo, animatrice du PER, c’est une alternative éducative pour les élèves déplacés internes venus des villages et qui n’ont pas accès à l’école. « Ce n’est pas une éducation classique aux enfants », précise-t-elle.
Germaine Kaboré, secrétaire technique de l’éducation en situation d’urgence nous confiera que le PER est juste une trouvaille pour « là où ce n’est pas possible de regrouper les enfants », leur permettre au moins de rester dans une ambiance d’apprentissage, une routine pédagogique en attendant leur retour à l’école.
A l’épreuve du terrain
A Ouahigouya comme au Sourou et dans bien d’autres localités, ce sont entre autres palliatifs trouvés par le gouvernement. Des réponses qui s’inscrivent dans la stratégie de scolarisation des élèves des zones à forts défis sécuritaires, adoptée en février 2019. Même s’il dit comprendre ces bouées de sauvetage d’un système éducatif en difficulté, le secrétaire général du principal syndicat d’éducation du Burkina, Souleymane Badiel, doute de leur efficacité pédagogique.
«S’il n’y a pas d’avancées véritables en termes de règlement conséquentes de cette situation de terrorisme sur le terrain, les mesures qui sont proposées sont justes pour essayer de maintenir les enfants sous le contrôle d’une autorité ; mais ça ne peut pas leur offrir une éducation avec un avenir », tranche-t-il.
Paraphrasant Victor Hugo qui soutient que lorsqu’on ouvre une école, ce sont les portes d’une prison qu’on ferme, Souleymane Badiel pour faire référence aux écoles fermées au Burkina estime que « dès lors que les portes des écoles se ferment, on va entrer dans une situation où ce serait des prisons à grande échelle qui seront établies pour la jeunesse. Cette jeunesse qui n’aura pas la formation adéquate pour s’insérer dans la vie, la société, va s’orienter dans des directions qui ne lui permettent pas de participer au développement de la nation. Désœuvrée, sans perspective, la jeunesse sera une bombe dans quelques années », craint-il.
Le 30 mai dernier devant l’Assemblée législative de transition, le Premier ministre Apollinaire Kyelem a déclaré que des territoires ont été conquis sous le magistère du Président Ibrahim Traoré. « 65% du territoire est sous notre contrôle, 20% où les FDS ont un accès limité », a-t-il précisé. Les nouvelles autorités revendiquent la conquête de plusieurs pans du territoire, pendant que le retour de l’Administration comme l’école se fait toujours attendre.
« Le gouvernement c’est un tout, c’est une unité, et si des populations retournent, les autres services sociaux de base doivent être mis en place dans ces villages où les gens sont retournés », analyse pour sa part Germaine Kaboré qui espère que l’année scolaire 2023-2024 présentera une meilleure copie.
Tiga Cheick Sawadogo