Après avoir perdu leurs maris, des veuves ont fui leurs villages d’origine pour trouver refuge à Kongoussi, chef-lieu de la province du Bam, située à environ 100 km de Ouagadougou. Sans aucune ressource, elles se sont lancées dans la fabrication de savon pour reprendre leur destin en main.
Tewendé Ouédraogo, la quarantaine a vu sa vie basculer une journée quand des groupes armés ont fait irruption dans son village de Silgadji dans la commune de Tongomaël, au Nord du Burkina Faso : « Dans mon village, ils ont tué mon père, mon frère et mon enfant, et le neveu de mon mari. Alors, nous avons dû quitter le village ». Ces évènements se sont déroulés lors de l’attaque du dimanche 28 avril 2019 lors d’un culte à l’église de Silgadji.
Originaire du village de Zoura, Hawa Zongo, a vécu la même histoire. « J’ai dû quitter le village parce que des groupes armés ont fait irruption dans le village. Ils ont tué mon mari et mon père. Alors, nous avons dû chercher un lieu plus sûr pour nos enfants », explique Hawa. C’est à Kongoussi que dame Zongo a trouvé refuge comme beaucoup d’autres habitants de Zoura.
Hawa, Tewendé et plusieurs autres font partie des milliers de personnes déplacées internes au Burkina Faso. Selon le Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (CONASUR), à la date du 31 mars 2023, le Burkina Faso comptait 2 062 534 personnes déplacées internes (PDI) dont 1 053 932 femmes. La région du Centre-Nord dont relève la province du Bam est en deuxième position des régions abritant le plus de personnes déplacées.
Solidarité féminine
La situation est dramatique! Mais ces femmes n’ont pas baissé les bras. Elles ont décidé de se regrouper au sein de l’Association Kiswendisda des veuves déplacées du Bam. L’objectif est simple. Se soutenir mutuellement et se rendre utiles. « Nous n’avions pas la paix du cœur lorsque nous étions seules dans nos maisons, nous pensions que nous étions seules et abandonnées », explique Aguirata Somtoré, la présidente de l’association, mère de huit enfants.
C’est elle qui a eu l’idée de rassembler les veuves déplacées autour d’un projet commun. Veuve avant la crise sécuritaire, elle a été forcée à l’exil dans son propre pays comme près de 270 mille autres femmes à la date du 31 mai 2023 selon le CONASUR. Mais, elle n’a pas voulu accepter ce que le sort a voulu lui imposer.
Au début, elles se sont lancées dans des activités de salubrité publique, en nettoyant les services administratifs et les écoles de la ville. « Les gens ont salué notre initiative », assure Tewendé Ouédraogo. Mais, cette démarche ne leur rapportait rien en retour. Elles ont alors réfléchi à une activité plus rentable, qui leur permettrait de gagner un revenu et d’être autonomes. C’est ainsi que ces veuves ont choisi la fabrication de savon local dit kabakourou.
La saponification comme porte de sortie
C’est au secteur 5 de la ville de Kongoussi que nous les trouvons dans une séance de fabrication de savon. Les femmes, une dizaine sont assises à l’ombre d’un magasin de six tôles qui sert de siège pour l’association.
Elles sont déjà à l’œuvre. Dans une grande bassine en plastique, elles remuent un mélange de plusieurs produits : du bicarbonate, de l’acide ionique, le silicate et de la potasse, etc. « La fabrication du savon kabakourou est difficile. Si tu n’as pas bien mangé, il ne faut pas oser hein! », lance une dame dans un éclat de rire. Passée cette étape, avec leurs mains, elles font des boules de savons.
Certaines portent des gants d’autres non. Il n’y en a pas assez. « C’est dangereux de le faire sans porter de gants parce que le savon risque de ronger les mains à cause de la potasse », prévient Aguirata. Après une trentaine de minutes, elles font des boules de savon qu’elles disposent sur un sac.
Depuis qu’elles mènent cette activité, les membres de l’Association kiswendsida des veuves déplacées du Bam assurent que leur vie est transformée. « Quand nous finissons de fabriquer les boules de savon, nous les revendons aux femmes de l’association à 200 francs CFA. Elles les revendent à leur tour à 250 francs CFA », explique Aguirata. Après la vente, chaque femme empoche 25 francs CFA des bénéfices sur la boule de savon et reverse 25 francs CFA à l’association.
Cette association innove en fabriquant également du savon à base de carottes et de lianes. Ils sont vendus comme savon de toilettes.
Des difficultés quand même
Plus rien, ni personne ne peut ramener leurs maris en vie. Mais une chose est sûre, elles ont retrouvé de la joie. Celle de vivre. « Cela nous soulage beaucoup », avoue Hawa Zongo. Ainsi, elles peuvent payer les frais de scolarité des enfants, les fournitures scolaires et à manger. Elles arrivent à prendre soin de leurs enfants, à payer leurs frais de scolarité et leurs fournitures scolaires. « Cela nous soulage beaucoup », avoue Hawa Zongo tout en remuant la tête.
« Nous n’avons plus besoin d’acheter du savon », assure Tewendé. Augirata, la présidente le confirme : « Depuis que nous menons cette activité, nous avons un peu de revenus. Ce n’est plus comme avant ». Elles ont retrouvé le goût à la vie. D’ailleurs, elles oublient souvent notre présence et se lancent dans des causeries parfois intimes et éclatent de rire. Une sorte de thérapie.
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Mais Aguirata et les autres femmes sont confrontées à un problème : l’augmentation du prix des ingrédients entrant dans la fabrication du savon. « Je vous prends un exemple, le sac de 50 kilogrammes de bicarbonate fait 60 mille francs CFA, l’acide ionique coûte 3000 francs CFA, le litre du silicate coûtait 600 francs CFA. Aujourd’hui, il faut débourser 1100 francs CFA pour l’avoir. Le prix de la potasse aussi a augmenté », déplore-t-elle.
L’association compte plus de 300 membres. Il est donc souvent difficile de répartir les bénéfices. C’est pourquoi, la présidente appelle à l’aide : « Nous savons faire d’autres activités au sein de l’association comme le tissage, la fabrication de soumbala et autres. Mais il nous manque les moyens matériels et financiers ». Malgré tout, elles ne comptent pas baisser les bras.
Ces veuves déplacées de Kongoussi ont su transformer leur douleur en force. Elles espèrent qu’un jour la paix reviendra et qu’elles pourront retourner dans leur village d’origine. En attendant, elles continuent de se battre et de rêver d’un avenir meilleur.
Boukari Ouédraogo