La mise en accusation de Blaise Compaoré et 13 autres dans le dossier Thomas Sankara intervient alors que les autorités affichent leur volonté d’amorcer le processus de la réconciliation nationale. Pour certains jeunes, l’attelage justice et réconciliation nationale est en marche.
Au cafèterait situé devant l’Ecole nationale de l’administration et de la magistrature (ENAM), Mathieu Daïla prend son petit déjeuner. Le jeune enseignant d’université ne se fait pas prier pour se prononcer sur ce qui fait l’actualité au Burkina depuis 72 h : la mise en accusation de Blaise Compaoré et 13 autres dans l’affaire de l’assassinat de Thomas Sankara. Il dit analyser cette actualité sur deux tableaux : politique et social. Au plan politique, Mathieu soutient que la mise en accusation de personnalités dans ce dossier emblématique a un lien avec la réconciliation nationale. « Le fait de les mettre en accusation, c’est déjà un début de manifestation de la vérité. Ça va permettre de trancher définitivement cette question pour permettre aux Burkinabè de se concentrer sur autre chose », dit-il.
L’autre aspect commente Mathieu, c’est que la tenue de ce procès sera un bon préalable pour évacuer le dossier qui cristallise la vie politique depuis plus de 30 ans. Ceux qui seront jugés et condamnés bénéficieront de mesures d’élargissement, présume le jeune enseignant. « Ils seront bientôt acquittés ou graciés. Tant qu’on n’a pas condamné quelqu’un, on ne peut pas le gracier. C’est peut-être pour actionner les actions politiques», suppose-t-il. C’est également la même lecture de Noufou Ganamé, étudiant. Pour lui, pour parler de réconciliation nationale, il faut d’abord savoir qui a fait quoi. « Si on met en accusation Blaise Compaoré et les autres, c’est peut-être pour arriver à la réconciliation. Si les incriminés reconnaissent les faits et qu’on peut réparer à l’amiable, c’est mieux », avance-t-il.
Pour Francis Ouédraogo, la réconciliation et la justice vont de pair. « S’il y a jugement, on pourrait envisager la réconciliation. Il faut d’abord savoir qui a fait quoi avant de s’entendre », soutient-il. Le jeune pensionnaire de l’ENAM dit regretter que beaucoup d’accusés ne soient pas présents au Burkina pour faire face à la justice alors que leurs partisans prônent la réconciliation.
Deux façons de voir…
C’est ce 13 avril que la chambre de contrôle du tribunal militaire a rendu son délibéré dans l’affaire de l’assassinat de Thomas Sankara et autres. L’ancien président Blaise Compaoré, en exil en Côte d’Ivoire, est poursuivi pour « attentat à la sûreté de l’Etat, complicité d’assassinat et de recel de cadavres ». Son ancien chef de la sécurité Hyacinthe Kafando est poursuivi pour « attentat à la sûreté de l’Etat, assassinat et faux en écriture publique ». Quant à Gilbert Diendéré, déjà condamné à 20 ans de prison dans le dossier du coup d’État du 15 septembre 2015, il va comparaître pour « subornation de témoin, complicité d’assassinat et attentat à la sûreté de l’Etat ».
A l’annonce du délibéré, Eddie Komboïgo, président du CDP, parti de Blaise Compaoré a relevé un paradoxe « entre le langage des dirigeants qui disent d’aller à la réconciliation et l’ouverture tout azimut de dossier que l’on pensait pouvoir trouver une solution intelligente». Prosper Farama lui s’est satisfait d’une victoire d’étape avec la mise en accusation des 14 personnes.
Par contre, il s’est offusqué de ce que le dossier Thomas Sankara soit déposé sur la table de la réconciliation nationale. « Ce que les victimes veulent, ce que les familles des disparus demandent, c’est de la justice, ce n’est pas de mascarade de justice. Si c’est faire semblant de juger les gens pour les mettre en liberté après, je dis que ça, c’est de l’impunité. Le concept de réconciliation dont on parle, moi je constate ce n’est qu’un arrangement au sommet », a-t-il déclaré.