Depuis le 11 juillet 2023, plusieurs ressortissants burkinabè en majorité des femmes et des enfants ont été expulsés du Ghana voisin sans explication ni préavis. Ces personnes se sont retrouvées sur un site d’accueil mis en place par le gouvernement burkinabè à Dakola, village frontalier au Ghana.
Mardi 18 juillet 2023 au Lycée départemental de Dakola. Il est environ 14h00. Des vêtements de toutes les couleurs, parfois usés, sont suspendus comme des drapeaux de détresse sur un grillage qui sert de clôture et parfois sur des tables-bancs. Des hommes, des femmes de tout âge s’occupent, comme ils le peuvent, dans cet espace. Certains sont assis sur des tables-bancs ou sous des arbres. D’autres, par contre discutent debout ou assis devant les salles de classe.
Des mamans allaitent ou tentent de calmer leurs enfants en larmes, parfois nus. D’autres nettoient leurs bambins. Dans un angle de cet espace, de grosses marmites sont posées pèle-mêle. Pour arriver là, il faut d’abord franchir une barrière de sécurité des forces de défense qui surveillent les lieux. De loin, on peut entendre un grand brouhaha dans lequel se mêlent les pleurs et les cris des enfants. Quelques-uns s’amusent visiblement inconscients de ce qui se passe autour.
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Dans une salle de classe transformée en bureau pour la circonstance, une équipe de l’action sociale sous la conduite de Rasmata Ouédraogo s’active. Le téléphone collé à l’oreille, elle reçoit ou lance des appels, donne des instructions à ses collègues et répond parfois aux préoccupations de certaines personnes qui viennent la voir. « Ils ont envoyé la femme à Pô. A l’autre femme, ils ont diagnostiqué une anémie sévère », explique-t-elle à son collègue, parlant d’une femme rapatriée du Ghana. Puis, se dirigeant vers une autre dame, elle lui fait servir la ration pour la cuisine du soir. Du riz. Malgré son air accommodant, elle refuse tout entretien en l’absence d’une autorité administrative.
Il faut donc attendre le lendemain. Le gouverneur de la région du Centre-Sud a prévu une visite.
Les conditions de départ
Mercredi 19 juillet 2023. Retour sur le site. Il est 10h00. Le gouverneur de la région du Centre-Sud est présent ainsi qu’une équipe de la Croix rouge. Après quelques minutes, l’équipe de l’action sociale réunit ce beau monde au milieu de cette école pour des échanges avec ses hôtes. Elle les rassure sur la présence de la sécurité et demande leur implication pour que tout se passe bien.
L’occasion est bonne pour comprendre ce qui les a amenés ici. Aboubacar Diallo, 19 ans, éleveur résidait depuis 12 mois dans un village ghanéen. Le jeune homme a été refoulé du territoire ghanéen sans s’y être préparé. « On ne nous a même pas demandé de partir. Ils nous ont appelé chez le chef de village pour qu’on aille au bureau de police. Ils ont relevé nos identités, fait des photos. Après, ils nous ont fait savoir que c’était juste un recensement », explique Aboubacar Diallo, la mine renfrognée.
A sa surprise, il est convoyé avec bien d’autres compatriotes à Dakola. « C’est après qu’ils nous ont dit qu’ils allaient nous ramener chez nous. Ils ont convoqué une réunion à laquelle nous sommes partis, pas avec tous les membres de la famille. C’est à partir de là, qu’ils nous ont rapatriés ici », poursuit Aboubakar. Dans ce départ forcé, le jeune homme, marié, a laissé derrière lui sa campagne. « Il y a aussi mon père et mes frères enfants qui sont encore là-bas », précise-t-il.
Des raisons floues
D’un pas lent, Hassan Bandé, sexagénaire marche vers une équipe de la Croix Rouge pour recevoir un don composé de moustiquaire, de draps, de pagne, de seaux, de kits de cuisine, du savon etc. Derrière, lui, une vingtaine de personnes, en majorité des femmes et des enfants.
« Ce sont mes femmes et mes petits enfants », explique le sexagénaire. Le vieil homme ne comprend pas aussi ce qui lui est arrivé. Rien ne laissait présager d’un tel rapatriement forcé. Depuis huit ans qu’il vit au Ghana, tout se passait pourtant bien. « Il n’y a jamais eu de problème entre nous et les Ghanéens. On ne sait pas ce qui s’est passé. Ils sont venus nous ramasser dans le campement pour nous amener ici. On n’avait pas le choix », explique-t-il visiblement marqué.
Un bébé au dos, Aminata Boly, la vingtaine a été séparée des membres de sa famille. « Je suis venue avec un seul de mes enfants. J’ai laissé deux autres enfants là-bas. Mon mari est toujours là-bas avec nos biens », dit-elle.
La jeune dame dit n’avoir aucun problème à retourner dans son pays. Seulement, elle n’a pas été préparée. « Si on nous avait simplement dit de rentrer, nous serions rentrés tranquillement avec nos biens », assure-t-elle dans un sourire gêné.
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Alors que nous continuons le tour sur le site, nous rencontrons Boureima Diandé les bras en l’air comme s’il implorait le ciel. Le jeune homme de 35 ans est dépaysé. « Je ne connais personne ici. Je suis né au Ghana. J’entendais parler du Burkina mais je ne connais rien du Burkina », raconte-t-il visiblement désorienté. Tous, las d’attendre depuis plus d’une semaine veulent rejoindre leurs familles.
Qu’est ce qui explique ce rapatriement forcé ? À cette question, le gouverneur de la région du Centre-Sud Yvette Massada Coulibaly n’a pas de réponse. Tout comme le ministre délégué à la sécurité Mahamoudou Sana une semaine plus tôt, elle déplore le manque de communication entre les deux pays.
« On aurait souhaité qu’on puisse en discuter dans le cadre de la coopération transfrontalière pour que cela soit mieux organisée et aussi en préservant la dignité de ces personnes qui sont refoulées vers leurs pays d’origine », regrette-t-elle. Pour Yvette Massada Coulibaly, cette situation intervient alors que les populations burkinabè et ghanéennes installées à la frontière ont toujours vécu en parfaite harmonie.
Des difficultés à prendre en charge les rapatriés
L’équipe de l’action sociale fait face à plusieurs difficultés. Le centre de santé a été installé avec un retard. Des cas urgents ont été pris en charge. « Quoi qu’on dise, même si la santé est là, si vous avez beaucoup de malades sous la main, ce n’est pas facile. Il y a plus d’enfants, des bébés plus que les hommes et les femmes. Leur gestion n’est pas facile », explique Tasséré Zongo, agent à la direction provinciale en charge de la femme du Nahouri.
En plus de cette difficulté, l’action sociale doit faire face aux problèmes liés au mode alimentaire, souligne Tasséré Zongo : « Aujourd’hui, nous avons plus le riz. Alors que leur mode alimentaire n’est pas forcément ça. Ça nous cause problème ».
Le ministère ghanéen de la sécurité nationale nie l’expulsion de ces Burkinabè. Il explique plutôt qu’un centre d’accueil temporaire de 2100 personnes a été mis en place et accueille 530 réfugiés burkinabè. Toutefois, l’ONU a appelé le gouvernement ghanéen à respecter le principe de non-refoulement. Au mois de juin 2023, le Burkina Faso compte près de deux millions de personnes déplacées selon le Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (CONASUR). Certaines se sont réfugiées dans les pays voisins comme le Ghana et la Côte d’Ivoire.
Boukari Ouédraogo