A Savili, village perdu dans la province du Boulkiemdé, une femme occupe le statut de chef de village avec autorité et sagesse depuis deux ans.
Vêtue d’un ample boubou blanc aux motifs variés, qui témoigne de son vécu et de son autorité, la cheffe de Savili, Naba Kango avance lentement avec assurance. Le pagne noué. Un foulard en pagne traditionnel orne sa tête. Dans ses mains, les symboles de son pouvoir: une queue de cheval, un moyen de protection, une canne et un sabre symbole de son autorité.
Dans la main droite, un sabre, autre symbole de son autorité. Naba Kango s’installe sur une chaise bleue qui tranche avec la couleur ocre du sol. Son visage porte les marques de son appartenance ethnique mossi.
Cette dame, âgée de plus d’une cinquantaine d’années, est le chef du village de Savili, bourgade d’environ 3500 âmes située dans le département de Sabou, dans la province du Boulkiémdé. Pour accéder au village, il faut emprunter une route tortueuse presqu’impraticable en cette période de saison pluvieuse.
Ce samedi dans la cour royale, le soleil brille après la pluie tombée la veille au soir qui a rendu boueuse et tortueuse la piste rouge qui mène à son village. Une fois installée, des habitants du village se pressent pour rendre hommage à leur cheffe. Ce sont des notables, des vieux, des jeunes, des femmes. Tous se prosternent. Certains se décoiffent. D’autres pas. « Seuls les musulmans ont le droit de garder leur bonnet », nous apprend un serviteur. En effet, à Savili, la religion n’est pas un motif de division. A Savili, musulman, chrétien et animiste cohabitent dans une parfaite harmonie.
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Parmi eux, certains se distinguent comme cet homme, vêtu d’un t-shirt noir, l’air inquiet. Il est venu implorer la Naba Kango pour qu’elle intercède auprès des ancêtres en faveur de sa femme malade. Pour cela, il a apporté, un poulet blanc comme offrande et des colas comme cadeau à la cheffe. Une exigence de la tradition. : « On ne rend pas visite à un chef les mains vides ». Venir sans cadeau est un signe de mécontentement et un même un conflit ouvert avec le chef.
Les salutations d’usages faites, l’homme dévoile son problème. « C’est ma femme qui est chez ce monsieur. Mais ma femme a quelques soucis de santé. J’ai passé plus de cinq ans en Côte d’Ivoire avec elle. Nous avons eu un enfant. Par la suite, elle a eu des soucis de santé. Malgré cela, je suis en droit de récupérer ma femme. Ma femme a même perdu la vue. Ce seraient des phénomènes dus aux génies. Je suis venu avec un poulet pour implorer les ancêtres pour qu’elle retrouve la santé », explique l’homme.
Naba Kango l’écoute attentivement sans l’interrompre. Ensuite, elle le met en confiance et promet d’intercéder auprès des ancêtres. A Savili, certains problèmes sociaux et conflits se règlent auprès de la cheffe de village. Bien qu’elle soit une femme, personne ne conteste son autorité. Les questions de succession sont souvent l’objet de conflits récurrents. Confier l’intérim de cheffe de village à une femme permet d’apaiser les tensions de successions.
Le respect de la tradition
Dans la tradition à Savili, le statut de chef de village est réservé généralement aux hommes, reconnait Amado Soré, l’un des serviteurs de la cheffe. Mais, lorsque le chef décède, s’il n’a pas d’héritier, c’est sa fille ainée qui assure l’intérim jusqu’à ce qu’un nouveau chef soit désigné. « En général, l’intérim dure trois ans. Mais le règne peut aller au-delà. Cinq ans, sept ans, huit ans », explique Amado Soré assis sur un tronc d’arbre. Lorsque le nouveau chef est intronisé, la reine lui remet le bonnet de chef et retourne dans son village.
Autour de la cheffe, plusieurs personnes âgées, la barbe souvent blanchie par le temps. Ils sont des conseillers de la reine. L’un d’eux Amidou Zagré, plus de 70 ans environ est l’un des ministres. A l’intronisation, la cheffe porte le même nom que son défunt père. Elle est donc respectée de la même manière. « Elle est cheffe avec les mêmes prérogatives qu’un homme. Celle-ci conserve le nom de guerre de son père. Elle peut donner des ordres, convoquer des réunions, régler des conflits, gérer les rituels, etc. Cependant, elle ne peut pas hériter du trône ni le transmettre à ses enfants », détaille le vieil homme.
Une cheffe respectée
Depuis qu’elle est cheffe, elle bénéficie du respect et du soutien des habitants de Savili. « Je n’ai aucun problème. Mes serviteurs, les notables, les princes me soutiennent », assure la cheffe d’une voix posée et rassurante. Quand le besoin est là, les villageois viennent cultiver le champ de la cheffe et l’aident aussi avec du bois de cuisine. Ils font tout pour qu’elle ne manque de rien. « On ne me contredit pas. Il suffit que j’ordonne et tout le monde m’obéit », insiste-t-elle.
La cheffe de Savili n’est pas une cheffe isolée de sa famille. Elle a le droit de rejoindre son mari qui est resté dans un village à quelques kilomètres de là. « Mais quand son mari vient ici, il est un sujet comme tout le monde. Par contre, ce qui se passe dans leur foyer quand elle y retourne n’est pas notre préoccupation », lance Amado Soré sur un ton humoristique qui arrache un sourire à la cheffe elle-même.
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Être chef exige de nombreuses responsabilités. Il faut gérer les conflits familiaux et les problèmes sociaux, comme elle l’a fait ce matin. Cette responsabilité exige, selon Naba Kango, beaucoup d’écoute, de patience et surtout de sagesse. Elle assume cette lourde responsabilité grâce à ses conseillers, la plupart des hommes dont certains ont servi son père et même son grand-père.
Les responsabilités de Naba Kango sont nombreuses. C’est elle qui fait les rites coutumières comme le « basga », une fête traditionnelle qui célèbre le nouvel an et bien d’autres évènements et pratiques traditionnelles.
Dans la foule, certains jeunes sont des princes. Ils sont des potentiels futurs chefs de village. Ils ne ratent pas ces occasions de communier avec la cheffe dans l’optique d’apprendre. Moussa Gansonré, la vingtaine vient souvent suivre les rituels auprès de la cheffe. En tant que prince, il veut apprendre davantage sur la culture et la tradition de son village. Le jeune homme est fier de sa cheffe « Nous sommes là pour elle. Tout ce qu’elle dit, nous respectons. Nous sommes fiers de l’avoir comme cheffe de village », dit-il. Pour lui, la cheffe de village est une source d’inspiration pour eux, jeunes. C’est pareil pour Idrissa Gansonré, un prince. Il espère apprendre auprès de la cheffe au cas où il viendrait un jour à être nommé chef.
La cheffe de Savili a plusieurs préoccupations qui sont celles des habitants. Il n’y a pas assez de forages. Les routes ne sont pas bonnes. Elle espère donc trouver les moyens pour construire au moins un forage à Savili. « Je suis à la recherche de soutien pour construire des forages et aménager les routes », explique-t-elle. Mais, les moyens manquent pour le moment.
Pour les notables et les habitants de Savili, le cas de leur cheffe est l’exemple que les femmes jouent aussi un grand rôle dans leur société malgré certaines croyances rétrogrades. En plus, c’est la preuve pour eux que les femmes peuvent être des actrices de changement de leurs communautés.
Boukari OUEDRAOGO