Les inégalités s’exportent dans les champs de coton. Veuves pour l’essentiel, certaines femmes ont continué l’exploitation des périmètres leurs époux décédés. Elles sont reconnues ‘’bonnes élèves’’, à jour des remboursements de crédits dans les groupements de producteurs de coton. Par contre, ces femmes n’y ont pas droit à la parole et sont soumises aux décisions prises sans elles. Dans la province du Tuy, région de la Boucle du Mouhoun, première région cotonnière du Burkina, des productrices plaident pour des groupements composés uniquement de femmes.
L’allure svelte, vêtue d’un complet pagne, Haketa Coulibaly se saisit d’une charrue tractée par deux taureaux dirigés par son fils. Entre les lignes des cotonniers qui présentent une bonne physionomie, elle passe et repasse. Les mottes de terre se déposent aux pieds des plants verdoyants.
Nous sommes à Kari, bourgade située à 13 km de Houndé, région de la Boucle du Mouhoun. Les rayons de soleil sont encore cachés dans les nuages en cette matinée du 1er août. La veille, une pluie a arrosé Kari et ses environs, rompant une période de poche de sécheresse. Le temps est clément.
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En pleine montaison, on peut même voir à certains niveaux, les tiges de coton commencer à fleurir. C’est un champ de 2 hectares qu’exploite Haketa Coulibaly depuis maintenant 5 ans. Ce, après le décès de son époux. Pour cette saison cotonnière, dame Haketa espère une meilleure moisson pour lui faire oublier sa peine de l’année dernière quand un parasite, le jasside, a ravagé des exploitations entières. «L’année dernière, j’ai eu 1 tonne, 9 kg. Mais cette année, j’espère récolter au-delà », dit-elle, timidement.
Des espoirs qui cachent des difficultés multiples d’un secteur. Outre les éternels problèmes d’intrants, de prix d’achats du coton et la pénibilité du travail, les cotoncultrices doivent aussi compter avec les pesanteurs socioculturels.
Principale actrice en arrière plan
Sur une superficie plus grande à Bombi, un village situé à un jet de pierre de Kari, quatre femmes se distinguent. Elles exploitent 13 hectares de coton. Un relais qu’elles assurent également après le décès de leur époux.
Loboué Hanzi, une des quatre coépouses, cotoncultrices de Bombi, s’empresse de poser une question qui visiblement lui tient à cœur. Elle veut savoir si les femmes peuvent créer et gérer des groupements de productrices de coton (GPC). Ces organisations qui centralisent les besoins des producteurs de coton. « Et si c’est oui, s’agit-il des femmes qui ont des maris ou celles qui n’en n’ont pas ? C’est ma question », lance-t-elle.
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Une question qui cache un mal. Les cotoncultrices se sentent marginalisées dans les GPC animés par les hommes et où elles regrettent de ne pas avoir leur mot à dire. « Lorsqu’on envoie le coton, le jour de la pesée, et que les hommes finissent de peser, ils ne nous disent rien au sujet du poids. Et aussi, certains disent ‘’ cette femme-là, c’est son coton comme cela? ‘’. Ils se demandent comment la production d’une femme peut dépasser leur production », explique Haketa Coulibaly.
Sianhou Hanadou, également productrice, confirme les préjugés dont sont victimes les femmes. « Lors des réunions, les hommes parlent et nous écoutons », regrette-t-elle. Pourtant reconnaît Ousmane Sié, directeur de la région cotonnière de Houndé, les femmes sont d’un grand apport dans la production du coton, sur toute la chaîne.
« Après les labours, les semis sont effectués par les femmes en majorité, tout comme l’épandage d’engrais, le démariage du coton et à la fin, les récoltes sont faites par les femmes. Certaines femmes sont des cheffes d’exploitations et prennent des crédits pour exploiter », précise-t-il, avant d’ajouter un élément qui lui semble important : les femmes ne tombent jamais en impayé et sont crédibles.
Des promesses d’un changement
Si la plupart des cheffes d’exploitations sont des veuves, c’est juste qu’elles ont hérité des terres de leurs défunts maris. Sans cela, l’accès à la terre, surtout en grande superficie pour la femme est problématique. C’est ce que confirme Siaka Karambé, agent technique coton spécialisé, chef de centre de Kari. « Une femme, avoir une terre, ce n’est pas facile. C’est le véritable problème », constate celui qui conseille les cotonculteurs.
En attendant la résolution de ce problème, Ousmane Sié, directeur de la région cotonnière de Houndé rassure les femmes qu’il est bien possible pour elles de créer leur groupement. « Nous en tiendrons compte et nous allons faire un travail dans ce sens », a-t-il promis.
Tiga Cheick Sawadogo