Le Burkina Faso a signé, avec le Mali et le Niger l’acte de naissance d’une nouvelle organisation sous régionale : l’Alliance des Etats du Sahel. Trois pays aux destins presqu’identiques. Tous empêtrés dans une crise sécuritaire qui perdure depuis des années, ils sont maintenant tous dirigés par des militaires à l’issue de coups d’Etat. A travers 5 questions, Paul Oumarou Koalaga, Expert sécurité/Défense et Directeur exécutif de l’Institut de Stratégie et de Relations Internationales (ISRI) décrypte les enjeux de cette nouvelle organisation, ses chances de réussite et sa particularité d’avec d’autres initiatives aux mêmes objectifs mais qui n’ont pas fait long feu au Sahel.
Studio Yafa : Le Mali, Burkina et le Niger décident de mutualiser leurs efforts dans le domaine sécuritaire à travers l’Alliance des Etats du Sahel signé le 16 septembre. A quoi peut-on s’attendre avec cette nouvelle organisation ?
Paul Oumarou Koalaga : En se référant à la vision et au contenu de la charte, on peut tout de suite déduire que nous avons affaire à un instrument de sécurité collective embryonnaire qui se met en place avec ces trois Etats. On imagine également qu’en choisissant le nom ‘’Alliance des Etats du Sahel’’, ces trois Etats au départ s’attendent en termes de prospective à ce que d’autres Etats qui se trouvent dans l’espace du grand Sahel puissent également intégrer cette alliance dans le futur.
L’objectif est clairement décliné car il s’agira ensemble de mutualiser les efforts dans un élan de solidarité avec une vision politique affichée qui permettrait à ces trois Etats de s’engager ensemble, de s’assister afin de pouvoir lutter effacement contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière qui constituent les grands phénomènes de cet espace. On sait également que ces trois Etats présentent plus de vulnérabilité au niveau sécuritaire que les autres Etats dans cet espace du grand Sahel africain.
Après, au-delà, on peut aussi voir que l’ambition des Etats de l’AES, c’est de lutter contre les menaces extérieures. Si on met tout cela dans le contexte actuel, on comprend qu’à court terme, il s’agira d’utiliser cette organisation comme un instrument de dissuasion et de prévention par rapport à la menace d’intervention de la CEDEAO dans un pays membre de l’Alliance, notamment le Niger. Tout cela se met en place pour à la fois répondre à des besoins conjoncturels c’est-à-dire, la menace de l’intervention au Niger, mais bien après, de façon structurelle, on voit cette vision de mettre en place une sécurité collective embryonnaire avec pour vocation de lutter la grande criminalité transfrontalière.
Il est aussi clair que cet élan de solidarité entre ces trois Etats devrait reposer sur une bonne vision politique. En ce sens, la vision panafricaniste qui sous-entend l’AES est aussi clairement mentionnée.
Studio Yafa : Serait-ce une réponse à la moribonde organisation du G5 Sahel ?
Paul Oumarou Koalaga: Je ne dirai pas comme vous que le G5 Sahel est une initiative moribonde, même si on peut reconnaître que dans son opérationalisation elle présente des limites objectives par rapport à ses ambitions de départ. Quand on parle de G5 Sahel, on voit tout de suite l’Afrique de l’ouest et on l’assimile un peu à la CEDEAO. Il est bon de rappeler qu’à l’intérieur du G5 Sahel, il y a trois régions. L’Afrique de l’ouest avec le Mali le Niger, et le Burkina. Il y a aussi l’Afrique centrale avec le Tchad et enfin la Mauritanie qui est en Afrique du Nord. On a donc en plus de la CEDEAO, deux autres Communautés Économiques Régionales ( CER) qui sont concernées par la question du G5 Sahel
C’est depuis 2014 que dans une vision d’apporter des réponses à la question sécuritaire et contribuer au développement, des Etats se sont mis en synergie. L’objectif était de permettre à ces 5 Etats d’avoir d’abord un instrument pour assurer la lutte contre l’insécurité. A l’intérieur du G5 Sahel, il y a plusieurs piliers dont celui ‘’Défense-Sécurité’’. C’est à l’intérieur de ce pilier que la force conjointe du G5 sahel a été crée en 2017 pour palier la menace terroriste qui se faisait plus pressante.
Il est vrai que c’est cette force conjointe du piller Sécurité/Défense qui est beaucoup plus médiatisée que les deux autres piliers que sont la gouvernance et la résilience et les infrastructures . La prévention de la radicalisation et l’extrémisme violent avec un focus sur les jeunes et les femmes fait également partie du volet résilience.
Elle a par moment présenté des difficultés dans sa mise en œuvre à cause des problèmes de financement. Pour faire un parallèle entre l’AES et le G5 Sahel, je dirai que c’est peut-être une réponse et un format plus réduit de mise en œuvre entre ces trois Etats du pilier sécurité défense. Ces 3 Etats souhaitent certainement avoir plus d’autonomie et s’approprier cette sécurité collective au niveau de l’espace des 3 frontières d’abord.
Ce qu’il faut rappeler aussi, c’est que jusqu’à présent, c’est le Mali, qui avait des difficultés avec l’un des partenaires, qui s’est retiré du G5 Sahel et de sa force conjointe. Mais le Burkina, le Niger, le Tchad et la Mauritanie continuent avec l’initiative . Pour vous donner un exemple que ça continue de fonctionner, le Burkina a pris le commandement de la force conjointe du G5 Sahel au cours du mois d’août passé.
C’est bon de voir qu’au-delà de l’’aspect sécuritaire et de défense qui est beaucoup médiatisé, le G5 Sahel a vocation de toucher d’autres secteurs. Malheureusement les difficultés de financement ont mis en berne les projets. Par ailleurs, le Burkina occupe le poste de secrétariat exécutif et à Ouagadougou, il y a le Centre sahélien d’analyse des menaces et d’alerte précoce (CSAMAP) et qui n’est pas assez médiatisé.
Studio Yafa : Comment l’AES pourrait réussir là où d’autres organisations comme le G5 Sahel, le Conseil de l’entente et bien d’autres ont échoué ?
Paul Oumarou Koalaga: Les trois Etats sont dans une situation particulière et partagent un certain nombre de réalités. Ils sont dirigés par des militaires et bien entendu il y a une certaine proximité entre eux. Il est plus facile entre eux de communiquer, c’est un coté avantageux de mettre ensemble un certain nombre d’éléments avec une vision acceptable pour tous. C’est un avantage par rapport aux autres initiatives.
Autre point fort, à l’annonce de la création de l’AES, il y a une sorte d’engouement de la part des populations qui soutiennent. Cela n’est pas le cas avec le G5 Sahel ou les autres initiatives comme le Conseil de l’entente qui sont presque méconnues. Ici, à la différence des autres initiatives, il y a cette solidarité et on pourrait imaginer qu’en termes de financement, si on sollicite la contribution des populations, cela faciliterait certaines choses.
Le G5 Sahel par exemple était à un moment décrié parce qu’on soupçonnait un partenaire extérieur, notamment la France d’avoir une grande influence sur cette initiative. C’était un handicap. Cette fois ci, c’est gagné à ce niveau. Après, il faudra faire preuve de solidarité affirmée pour avoir un instrument durable sinon quand les visions vont diverger, les options et les postures vont changer, ça peut être aussi source d’obstacles.
Les trois Etats sont conscients de cette situation pour rester dans la vision qui va survivre aux personnalités qui les ont créés. Cela, pour que demain même si on a des dirigeants civils, ils puissent s’approprier cet outil fortement militaire pour assurer souverainement la sécurité de leur pays eux-mêmes. Il faut un leadership affirmé de ces dirigeants dès le départ et après des partenaires pourraient accompagner l’initiative. Il faut se financer d’abord et les partenaires viendront compléter les demandes de financement.
Studio Yafa : Justement, la particularité des trois pays c’est qu’ils sont tous dirigés par des militaires arrivés au pouvoir par coups d’Etat. L’AES pourrait-elle survivre à ces Présidents de transition ?
Paul Oumarou Koalaga: De toute évidence quand on crée une initiative pareille, on a le contexte du moment qui facilite, mais il ne faut pas oublier que cette initiative est la concrétisation de la vision qui avait été plus ou moins conçue par les anciens dirigeants notamment depuis 2017. Notamment au sein de l’Autorité du Liptako-Gourma ( ALG) dont sont membres les trois Etats. Les dirigeants à l’époque avaient prévu de coupler à la vocation du Liptako-Gourma qui est axée sur le développement au contexte sécuritaire de la région avec une perspective de mettre sur pied la Force multinationale contre l’insécurité dans l’espace du Liptako Gourma, et L’AES tire son fondement de cette première tentative.
Ces pays partagent les mêmes frontières, mais aussi ont des vulnérabilités sur la porosité des frontières. Il faut aussi la dynamique de traquer les terroristes. Ces pays étaient confrontés au droit de porosité qui limitait les Armées à 100 km à la ronde.
Aujourd’hui, être dans une alliance pareille pourrait résoudre à la fois ces questions de droit de poursuite, et permettre de mener des opérations dans un esprit de solidarité. Avec cela, des résultats pourraient être concluants.
Studio Yafa : Sans la coopération avec des pays voisins, ces pays peuvent-t-ils endiguer les menaces terroristes?
Paul Oumarou Koalaga: Ces pays ne peuvent pas vivre en autarcie. Ils seront obligés de composer avec d’autres Etats. Pour le moment, les pays voisins du littoral notamment la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Togo, le Ghana vont regarder la direction et les objectifs de cette initiative. N’oublions pas qu’il avait la naissance de l’initiative d’Accra avec le Burkina. Si l’AES engrange des résultats, il n’y a pas de raison qu’après, lorsque la méfiance va passer, les autres ne collaborent pas. Il n’y a jamais d’initiatives de trop. Ça peut être une initiative qui vienne compléter celles existantes.
Passé donc le temps de la méfiance, il est important de penser à voir comment les autres Etats, même s’ils ne sont pas membres, pourraient être des partenaires privilégiés. Quelle que soit la volonté politique, les ambitions, on ne peut pas répondre à ce type de menaces transnationales tout seul sans la contribution des Etats voisins.
Entretien réalisé par Tiga Cheick Sawadogo