Artistes plasticien, Sahab Koanda conçoit ses œuvres à partir d’objets jetés comme déchets dans les poubelles qu’il récupère. Des meubles, des animaux, des personnages divers sont issus de son imagination et le font vivre. C’est dire donc qu’il fait les poubelles pour avoir de quoi manger et prendre soin de sa famille.
En première impression l’endroit ressemble à une forêt sacrée. Des statues en grandeur nature, des masques, et autres figures représentant plusieurs objets qui font penser à des objets de culte de religions africaines. Le tout dans un calme de cimetière, malgré la proximité avec des grandes rues. C’est l’univers, à Larlé, un quartier de Ouagadougou, de Sahab Koanda, un artiste plasticien aux créations atypiques qui ne manquent pas d’inspiration.
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De petite corpulence, Sahab Koanda est un adulte dans un corps d’adolescent. Il faut bien l’observer pour se rendre compte qu’il a traversé les âges. Son 1m60 est meublé par des bras musclés et une poignée ferme lorsqu’il serre la main. Sous ses dreadlocks, un petit regard fermé fait mystère sur ce personnage presqu’atypique. Jovial mais peu bavard au premier abord, il faut parler de son travail pour enclencher une machine à parole.
Il semble aimer parler de son travail. Et ce travail, c’est la récupération. Il donne une nouvelle vie aux objets et autres matériaux considérés comme déchets et jetés dans les poubelles qu’il transforme en objets d’arts. Surnommé du reste « Roi des poubelles », c’est la rue qui a été l’école des Beaux-arts de Sahab Koanda. Dans un français approximatif, il raconte lui-même n’être pas allé à l’école et n’avoir pas appris son métier dans une école ou dans un atelier.
Et rien ne semblait le prédestiner à l’art, lui qui a fait l’école coranique et a dû comme ses camarades faire la mendicité dans les rues. Ainé d’une fratrie de cinq personnes, il a aussi été berger, avant de s’adonner à de petits métiers.
Le passage dans le théâtre
Son premier contact avec le milieu artistique a été établi par le théâtre. Il dit s’y être essayé avec la compagnie Marbayassa, ensuite avec l’Atelier théâtre burkinabè (ATB), et avec le Festival International de Théâtre et de Marionnettes de Ouagadougou (FITMO). Mais à l’en croire, le fait de n’être pas allé à l’école a été un handicap, du fait qu’il n’était pas en mesure de lire les textes et les apprendre par coeur. Nouveau coup d’arrêt, quand il a viré vers la danse.
Pour certaines raisons, il dit avoir estimé qu’avec l’âge, il n’est pas évident qu’il puisse continuer à exercer son art. « Je me suis dit qu’à 50 ou 60 ans, il ne me sera plus possible de continuer à danser », a-t-il confié, jetant le regard sur ses installations remplies de son matériel de travail et des œuvres déjà réalisées en attente de potentiels preneurs. Comme pour dire qu’il a finalement bien fait de basculer.
Dos au mur pratiquement, car majeur et obligé de se chercher une source de revenus, le voilà qui se laisse aller à son intuition ! Celle-ci le guide vers les poubelles. Cela va lui valoir d’être rejeté par sa famille. Il le dit : « Ma famille m’a abandonné à cause de ce travail. On me considérait comme un fou. J’apprenais dans la rue les évènements qui se passaient dans la famille ». Mais rien n’y fit ! Il ne s’est pas laissé au découragement. Et cela paie avec une première exposition en marge de l’édition de 2001 du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO).
« En 2000, j’avais déjà des œuvres mais pas en grand nombre. Il y avait des caméramen parmi. C’est là que quelqu’un m’a suggéré d’approcher le FESPACO et que peut-être ils vont m’acheter des œuvres ». Il poursuit qu’il ne connaissait pas le FESPACO et n’avait pas d’album-photos. « Je me suis rendu au FESPACO, avec une enveloppe contenant trois ou quatre photos. C’était Baba Hama qui était le premier responsable. Il restait huit mois pour le FESPACO. Baba Hama m’a dit qu’ils n’ont pas d’argent pour acheter des œuvres. Mais comme le travail est bien, il dit qu’il va me donner l’occasion d’exposer mes œuvres dans le jardin pendant le FESPACO « , a-t-il raconté. Le déclic ! Les expositions se sont par la suite enchainées. Burkina, France, Allemagne, Belgique, Pologne…
Sahab, un modèle pour la jeunesse
Le « roi des poubelles » explique que la réalisation d’une œuvre peut lui prendre entre 72 h et une semaine, voire plus selon la taille de la pièce. De la fouille des poubelles, à l’assemblage des objets récupérés tels que tuyau, pédale, cylindre, réservoir, capot d’engins, pare-brise, des casseroles, des pots d’échappement… pour donner des meubles, des oiseaux, des masques, des personnages divers. Et le prix de ses articles oscille entre 100 000 F CFA et 50 millions de F CFA. Il enseigne qu’il faut avoir l’humilité de prendre en compte les plus nantis comme les moins, en ayant en tête que « quand on travaille pour les grands, et on oublie les petits, à un moment, on peut avoir des difficultés à continuer à produire ».
De ce fait, Sahab, la cinquantaine révolue, se compare à un vendeur de riz qui ignore le nombre de clients qu’il va recevoir au cours de la journée, mais prépare le riz en quantité. Après 25 ans de métier, celui qui est passé maitre en récupération explique que certains membres de la famille regrettent de l’avoir abandonné de par le passé. Aussi, il fait savoir que son activité lui permet de scolariser ses enfants et de subvenir à leurs différents besoins. Il n’oublie pas de préciser que c’est également une façon pour lui de lutter contre la pollution et participer à la sauvegarde de l’environnement. De son avis, il pouvait couper les arbres pour sculpter ses œuvres, mais a décidé de « soigner l’environnement ».
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Son collaborateur Abdoul Aziz Kiénou, secrétaire général de l’Association Merveilles des décharges, les yeux remplis d’admiration pour celui qu’il considère comme son père spirituel, lui reproche le fait de ne jamais se reposer. Pas de dimanche, pas de jour férié ! Pour lui, Sahab, au regard de son importance, devait se ménager afin que plusieurs générations puissent profiter de ses connaissances. L’ancien élève de Sahab devenu à son tour artiste plasticien, Sidiki Sankara, avoue, sur un air de fierté, que la rencontre avec l’homme des poubelles lui a donné envie de faire l’art, les dessins…
Évoluant dans le milieu artistique, Patrice Kaboré, directeur de la Compagnie de théâtre Les Merveilles du Burkina, fréquente Sahab depuis 20 ans. Selon lui, c’est un artiste audacieux et humble.
Boureima Dembélé