A Ouaga, sur les traces de Sankara (1/4). Dans la cour familiale de l’ancien président, les souvenirs sont restés intacts et ils se racontent avec émotion.
C’est une cour familiale à l’image de l’homme : humble et modeste. Dans le quartier populaire de Paspanga, au cœur de la capitale Ouagalaise, rien ne permet de reconnaître la maison où vécut Thomas Sankara, président du Burkina de 1983 à 1987. L’habitation est calme. Sous un hangar, de jeunes filles s’affairent dans la cuisine.
Svelte, les cheveux grisonnants, vêtu d’un Faso danfani, l’habit traditionnel, Valentin Sankara se plonge dans ses souvenirs. Le frère cadet de Tom’Sank raconte que d’hier à aujourd’hui, la cour est restée intacte, même quand un des fils de la famille était aux commandes de l’Etat.
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« Un jour, Thomas a amené un visiteur qui a estimé que la maison n’était pas digne du père d’un président. Il a proposé de la démolir pour en bâtir une autre, plus grande et plus jolie. Mais Thomas a refusé », se souvient Valentin Sankara, avec une certaine fierté.
Du geste de la main, il indique la petite maison de l’entrée, à gauche, où habitait son frère, alors adolescent.
Puis, l’autre habitation construite par le père de la révolution quand il était en formation d’officier. C’est tout ! Aucune trace de luxe, aucune faveur pour sa famille. « Je ne pouvais pas comprendre qu’avec un grand frère président, il m’était difficile d’avoir un billet de 10 000 F CFA », poursuit Valentin qui reconnaît en avoir voulu à son frère à l’époque.
Caractère bien trempé
Thomas Sankara a grandi dans une fratrie de dix enfants. Très tôt, il se démarque de ses frères et sœurs pour son caractère bien trempé et son aptitude à tout gérer. Pour Valentin Sankara, il était exceptionnel. « Parmi nous, il était particulier », dit-il, car pour lui, son intégrité se traduisait déjà par son refus de toute injustice. La famille savait qu’une brillante carrière attendait son fils, mais pas au point de devenir président du Burkina.
A la tête du pays, Sankara rendait régulièrement visite à sa famille à Paspanga. Il quittait le Conseil de l’entente le soir à vélo et rejoignait la maison en prenant le temps de s’arrêter en chemin pour discuter avec ses compatriotes. Puis, il jouait de la guitare pendant que sa mère chantait. Valentin se rappelle aussi de ces visites où son frère était silencieux. « Il n’y a rien ! », répondait-il un peu mystérieux quand on l’interrogeait sur son mutisme.
La maison des Sankara renferme des histoires. Les évoquer replonge Valentin dans une certaine nostalgie. Quand il évoque l’amitié de son frère avec Blaise Compaoré, l’émotion s’empare de sa voix. « Papa l’a pris comme son fils », explique Valentin avant de préciser que son père mangeait souvent dans le même plat avec Blaise Compaoré.
« Ici », indiquant d’un geste de la main l’arbre sous lequel les deux hommes avaient l’habitude de s’asseoir. Quand Thomas était de passage en famille et trouvait les deux hommes en discussion, il ne les dérangeait pas. La proximité entre Blaise Compaoré et le père de Sankara était telle qu’il leur arrivait de se retirer dans la chambre pour se confier des secrets, se rappelle le sexagénaire.
Un héritage à préserver
Loyauté et intégrité sont les valeurs qu’incarnait le capitaine Thomas Sankara. Trente-quatre ans après sa mort, et alors qu’un procès à la Cour militaire de Ouagadougou tente d’élucider les conditions de son assassinat le 15 octobre 1987, ces valeurs demeurent au sein de sa famille selon Valentin.
« Thomas nous a laissé une lourde responsabilité et je ne peux pas me comporter comme n’importe quel burkinabè. Si je commets quelque chose de négatif dehors, rapidement cela va se savoir et ce n’est pas bon pour l’image de l’homme qu’il incarnait », explique t-il avant de poursuivre : « Mais je marche la tête haute, car je ne suis redevable à personne. »
Au-delà de la douleur et de l’émotion encore vives dans sa voix, Valentin Sankara considère la mort de son frère ainé comme la conséquence de son intégrité. Singulière, la maison familiale de Thomas Sankara se fond au milieu des habitations modestes de Paspanga. Tout comme le capitaine a toujours voulu se confondre avec son peuple. Ne faire qu’un avec lui.
Faride Boureima, Danielle Coulibaly et Tiga Cheick Sawadogo