Au Burkina Faso, la Constitution est rétablie après avoir été suspendue par le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) à sa prise du pouvoir. Un acte fondamental est entré en vigueur depuis le 24 janvier 2022, en attendant la rédaction d’une charte de la transition. Que faut-il savoir de cet acte qui consacre le Président du MPSR comme chef de l’Etat ? Quelles sont ses implications ? Le jeune Wilfrid Zoundi, juriste, analyste politique apporte des éclairages.
C’est quoi un acte fondamental ?
C’est un acte qui est pris par une personne physique ou morale de façon volontaire. Dans le cas d’espèce, il est fondamental, certainement en comparaison avec notre loi fondamentale, la Constitution. C’est pour lui donner une valeur très importante, constitutionnelle. C’est pourquoi on dit acte fondamental.
En quoi un acte fondamental peut lever la suspension de la constitution ?
Dans le sens rigoriste du droit, cet acte fondamental a des impairs. D’abord, quand on regarde l’auteur de l’acte, il a été pris par le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) sans mettre à contribution d’autres composantes comme on voit avec la Constitution qui est souvent adopté par référendum.
Ensuite, on consacre à cet acte une valeur constitutionnelle. Il y a même une disposition qui dit qu’en cas de contradiction entre les dispositions de la constitution et les dispositions de l’acte fondamental, c’est l’acte fondamental qui doit prévaloir. C’est pour dire que l’acte fondamental est supérieur à la constitution. Il y a problème parce que la constitution est adoptée par tout le peuple par un référendum. Mais là, c’est un Mouvement qui a pris le pouvoir, qui rédige son acte fondamental et le soumet au peuple.
Enfin en ce qui concerne l’application de l’acte fondamental dans le temps. Il y a un principe général en droit qui dit que la loi ou les actes administratifs disposent pour l’avenir. C’est à partir de la publication d’une loi dans le journal officiel que l’acte juridique entre en application. Mais dans le cas présent, on dit que l’acte fondamental du MPSR prend effet à compter du 24 janvier 2022, date du coup d’Etat. On constate donc une rétroactivité, ce qui est contraire aux principes fondamentaux du droit.
Mais lorsqu’on regarde le préambule de l’acte fondamental, on voit qu’il y a des notions d’urgence qui ressortent. C’est ce qu’on appelle la législation de crise. Elle est prise dans le cadre de ce qu’on appelle les circonstances exceptionnelles. C’est le cas d’une guerre, d’une inondation qui empêche de respecter les règles du droit.
Quand il y a crise, cela excuse les formes d’illégalité ou les cas de non-respect du droit. On peut dire que comme nous sommes dans une législation de crise, cet acte fondamental peut entrer en application jusqu’au moment où le pays sera doté d’une charte de la transition. C’est donc un acte provisoire pour combler le vide juridique et institutionnel que nous vivons depuis le 24 janvier.
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Est-ce qu’en certains points, cet acte fondamental s’oppose à la constitution ?
La démocratie est le format juridique de l’Etat de droit qui a trois pouvoirs : l’exécutif, le législatif, le judiciaire. Mais le MPSR a dissout le gouvernement et l’Assemblée nationale. On n’en parle plus. Rétablir la constitution, c’est comme si on rétablissait le gouvernement et l’Assemblée nationale.
Pourtant ce n’est pas le cas, puisque désormais, c’est le MPSR qui concentre entre ses mains les pouvoirs exécutif et législatif. L’acte fondamental précise donc que toutes les dispositions de la Constitution qui lui sont contraires ne peuvent pas entrer en vigueur et ce sont les dispositions de cet acte qui doivent prévaloir.
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Qu’est-ce que le MPSR ne pouvait pas faire avant l’entrée en vigueur de cet acte fondamental et qu’il peut faire maintenant ?
Avec cet acte fondamental, la suspension de la constitution est levée. Désormais le président du MPSR concentre entre ses mains, beaucoup de pouvoirs. Le titre 4 précise que le président du MPSR est le Président du Faso, chef de l’Etat, chef suprême des armées et garant de l’indépendance de la magistrature. Egalement au niveau de l’article 29, on voit que c’est lui qui fixe les grandes orientations de la politique de l’Etat.
C’est lui qui nomme aux emplois de la haute administration civile, militaire, dans les sociétés et entreprises à caractère stratégique. Il exerce donc l’ensemble des prérogatives qui sont dévolues au Président du Faso, au Chef de l’Etat. Il concentre entre ses mains, ce qu’on appelle, les fonctions de l’hyper présidentialisme.
Entretien réalisé par Tiga Cheick Sawadogo