Lucien Naré est un homme qui a perdu la vue, mais pas la raison. Afin de contribuer à la lutte contre la discrimination des personnes handicapées, il a entrepris de traduire le braille dans les langues nationales et inventé un tableau pour leur permettre d’écrire au tableau. Son initiative favorise l’inclusion des personnes handicapées visuelles.
C’est en plein cœur du quartier Karpala, l’un des nouveaux quartiers de la ville de Ouagadougou que se dresse l’immeuble qui abrite l’Association pour le salut des personnes handicapées de vue au Burkina Faso. Le bureau de président de l’association, Lucien Naré, est situé au premier étage de cet immeuble de trois niveaux.
Vêtu d’un habit traditionnelle Faso Dan Fani, Lucien Naré, la cinquantaine, nous attend devant son ordinateur. Des lunettes noires dissimulent ses yeux. Son bureau est encombré de livres et de documents. « Bonjour, vous pouvez prendre place!», nous lance-t-il tout en désignant des chaises du doigt.
Lucien Naré est un handicapé visuel depuis l’âge de 27 ans. C’est une blessure qu’il garde au fond de lui. Mais, il accepte finalement de nous confier ce pan de sa vie. « C’est en 1987 que j’ai perdu les yeux. C’est dans la même année que j’ai suivi la formation pour apprendre les brailles », relate Lucien. Suite à un accident, sa vision s’est éteinte petit à petit. C’était la fin du monde pour lui.
Son invention
A partir de ce moment, il a dû affronter une série d’épreuves. D’abord, il est rejeté par tous ses proches. Ensuite, sa femme perd son boulot à force de s’occuper de lui, jeune comptable qui roulait sur l’or. Ayant pour seul soutien sa femme, Lucien reprend son destin en main. Il se lance dans l’élevage de porc. « C’est ce qui m’a permis de noyer le chagrin que j’avais et de subvenir aux besoins de ma famille après avoir vendu tout ce que j’avais », soupire-t-il.
Parallèlement, il décide d’apprendre le braille. Il s’inscrit pour une formation à l’Association burkinabè pour les personnes aveugles et malvoyants (ABPAM). Cette formation lui permet de pouvoir lire et écrire.
Mais Lucien se rend compte que la formation est uniquement en Français. Or, la plupart des handicapés visuels s’expriment essentiellement en langues nationales. A partir de là, lui vint l’idée d’adapter le braille dans les langues nationales à travers l’Association pour le salut des personnes handicapées de la vue du Burkina Faso. « Nous parlons d’’intégration sociale. Par exemple les voyants, ils écrivent, parlent et lisent dans leur langue. Mais pourquoi les aveugles ne peuvent pas faire ça ? C’est ce qui m’a amené à adapter les brailles en langues », explique Lucien Naré.
Une expertise reconnue
Le projet est soutenu par la Mission évangélique braille (MEB), une organisation non gouvernementale suisse. Il compose lui-même les caractères phonétiques du mooré en braille. Après cela, il l’élargit à d’autres langues comme le dioula et le bissa. Cette initiative est validée par les acteurs de l’éducation au cours d’un atelier. Il ne s’arrête pas là. Son œuvre est utilisée par des églises pour traduire la Bible en braille.
Pendant ses cours de braille, il constate que les élèves ne sont pas envoyés au tableau. Il créé ainsi un tableau adapté aux handicapés visuels. Il s’inspire des brailles pour fabriquer le tableau. C’est un succès car il permet d’améliorer l’enseignement des déficients visuels. L’invention porte son nom.
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Près d’une centaine de personnes, selon les chiffres fournis par Lucien, savent désormais écrire et lire dans leurs langues locales. Homme religieux, cet apprentissage permet pour le moment à ces derniers de lire la Bible. C’est tout heureux que Lucien Naré parle de cette initiative qui permet de lutter contre la ségrégation et promouvoir l’inclusion des personnes déficientes visuelles. « Si tu es alphabétisé, tu peux aussi mieux exercer un métier », explique Naré. En effet, son centre forme des jeunes dans plusieurs autres métiers comme le tissage, l’agropastorale.
Pour en faire la preuve, Lucien Naré à l’aide de sa canne blanche nous conduit dans le bureau de la directrice Siloé, le nom de l’école qui accueille ces handicapés visuels. Là, nous trouvons Moussa Ouédraogo, la trentaine, handicapé visuel. Grâce à l’invention de Lucien Naré, il a pu apprendre à lire en français et en mooré, sa langue maternelle. « J’arrive à composer des numéros, écrire des messages », nous apprend-t-il.
Si certains apprenant peuvent mieux exercer dans leurs activités, son initiative vise néanmoins à aider les personnes aveugles à lire la Bible. « Je compte poursuivre dans cette lancée pour pouvoir toucher les autres langues telles que le Fulfuldé, le Gourmancéma et bien d’autres langues » dit-il, plein d’espoir. Lucien Naré ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Il a plusieurs projets en tête pour améliorer les conditions de vie des handicapés visuels.