Depuis deux ans, Adèle (prénom d’emprunt) nettoie des latrines à l’université Joseph Ki Zerbo de Ouagadougou. Une activité qui lui permet de subvenir aux besoins de sa famille. Mais les préjugés liés au métier forcent la quarantenaire à ne pas l’assumer aux yeux de son entourage.
15h à l’université Joseph Ki Zerbo. Adèle Ouédraogo (nom d’emprunt) est à la tâche. Elancée, teint noir, l’air souriante. C’est ainsi que l’on peut décrire Adèle, celle qui assure l’hygiène des toilettes de la bibliothèque centrale, situé à l’ouest du campus. Dans son tee-shirt noir usé et ses deux pagnes délabrés, cette dame, la quarantaine, tient sa raclette et remplie les seaux d’eaux pour curer les toilettes. C’est son quotidien dans cet environnement aux odeurs souvent suffocantes. Mais c’est ce qui lui permet de s’occuper et de vivre dignement.
« Je suis obligée de faire ce travail pour scolariser mes enfants et subvenir aux besoins de ma famille » dit-t-elle avec le sourire aux lèvres qui contraste avec sa pensée.
Dans ce lieu d’aisance que Adèle s’apprête à assainir, l’insalubrité règne. Dès l’entrée, une odeur nauséabonde nous rebute, des sachets aux contenus douteux trainent au sol, des selles remplies jusqu’au bord et des urinoirs contenant du liquide noir coule au sol. Respirer dans ce lieu, pour un non habitué peut paraître un supplice pour les poumons. Sans masque ni bottes (malgré la dotation, elle dit ne pas s’y sentir à l’aise) , la jeune dame ouvre la porte d’une des latrines pour y verser de l’eau savonneuse. Soudain, une invasion de mouches nous accueille.
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« Les étudiants ne me facilitent pas du tout la tâche, ils défèquent juste à côté du trou, à vrai dire ça me fatigue. Souvent j’arrive et je vois une grosse selle. Je pousse ça mettre dans le trou. Je verse l’eau et je nettoie bien » déplore la jeune dame.
La jeune dame refuse de révéler ce qu’elle fait au quotidien à ses proches, à cause des préjugés liés à son métier. « (…) les gens diront que c’est un sale boulot qui donne des maladies donc je ne veux pas qu’ils sachent ce que je fais. Quand je sors, je dis aux gens que je pars faire du nettoyage mais ils ne savent pas que c’est le lavage des latrines » explique Adèle.
Un travail laborieux avec un salaire insuffisant
A vélo, la jeune dame parcourt la distance qui sépare Toudoubwéogo, un quartier périphérique à Zogona (le quartier qui abrite l’université). Depuis deux ans, elle consacre au moins 7h de son temps dans les activités de salubrité de l’université. En plus d’assurer la salubrité des toilettes, elle balaie également certains endroits près de son lieu de travail. Régulièrement un coup de balai surtout sous les arbres, pour permettre aux apprenants d’avoir un cadre idéal de révision leurs cours.
Pour tout le travail que la mère de 6 enfants abat au quotidien, elle est payée à 15 000 FCFA. Une somme qui peut paraître dérisoire, mais qu’elle perçoit en plus souvent avec un retard. « Depuis deux mois, ils ne nous ont pas encore payé » chagrine Adèle, alors que nous sommes en fin novembre et qu’elle attend toujours de percevoir sa paie d’octobre.
Alors, pour arrondir ses difficiles fins de mois, la « nettoyeuse » sillonne également certaines rues de la capitale pour ramasser des sachets d’eaux vides qu’elle revend à 125f le kilogramme.
Du réconfort malgré tout…
Certains membres de la communauté universitaire apprécient le travail de Adèle. Parmi eux, Salif Derra vigile depuis plus d’une dizaine d’années dans ce temple du savoir. Il admire la bravoure et le dynamisme de la « nettoyeuse ».
« La femme qui travaille ici, le matin à partir de 6h 30 elle est là. A 10h ou 11h, elle va chercher les sachets. Le sac qui est sur son vélo, ce sont des sachets d’eaux vides qu’elle collecte et revend, le soir à 15h, elle est là encore, 16h30, elle repart après avoir nettoyer. Et puis elle habite loin d’ici, Toudoubwéogo. Je crois que c’est 5 à 6 kilomètres d’ici et avec le vélo hein. C’est une femme qui grouille » témoigne Salif.
Salamata (prénom d’emprunt) nettoie, elle, les toilettes de l’amphi G de la même université. De son avis, Adèle est un modèle de combativité. « Je connais Adèle il y a de cela deux ans, elle est toujours assidue et ponctuelle à son travail. Elle ne se plaint pas et elle nettoie bien, c’est une qui ne s’amuse pas avec son travail ».
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Même s’ils ne le disent pas très souvent, certains bénéficiaires du travail de Adèle reconnaissent ses efforts. Ibrahim Zerbo est un étudiant en anglais. Il vient d’utiliser les toilettes nettoyées par les soins de Adèle.
« Concernant la dame, ce qu’elle fait pour les étudiants ici, c’est vraiment quelque chose de grandiose. Elle se bat pour la propreté des latrines. Je peux dire que c’est une femme battante, il y a d’autres dames, elles ont abandonné mais elle, elle reste toujours » admirele jeune homme qui reconnaît que les étudiants ne font pas preuve d’un bon comportement dans les toilettes.
Selon les données de la Direction des études, de la planification et des statistiques de l’Université Joseph Ki-Zerbo, l’institution accueille 50 027 étudiants pour 25 blocs toilettes soit environ 350 lieux d’aisance.
En attendant que les jeunes « intellos » prennent conscience de la mauvaise utilisation qu’ils font des lieux d’aisance, Adèle retient presque son souffle après utilisation.
Rimlawendé Gwladys Alida Ouédraogo (Stagiaire)