A Batié, dans la région du Sud-ouest, le cimetière des anciens combattants est à l’agonie. Ce lieu chargé d’histoire qui date de la période coloniale et où sont enterrés des militaires enrôlés par l’administration coloniale manque d’entretien. Plusieurs tombes ont déjà disparu et des habitants s’inquiètent qu’une partie de leur histoire soit engloutie sous les immondices.
« Ici repose le tirailleur de 1ère classe Zan Couribary. N° Mle 2562, né en 1902, décédé le 25 avril 1933 », c’est ce que l’on peut lire sur l’épitaphe de cette tombe. Elle fait partie des rares qui résiste au temps, malgré les intempéries. Au milieu des arbres et presque enfouies dans des feuilles mortes, plusieurs tombes du cimetière des « tirailleurs sénégalais » ne sont plus identifiables.
Les tombes se présentent sous le même modèle. Rectangulaire, environ 1m de long et bordé de pierres de latérites. Un tumulus d’environ 50 cm en hauteur, recouvert de ciment. Une plaquette en forme de cœur sur laquelle sont inscrits le nom, le prénom, la date de naissance et de décès du soldat.
Le poids du temps se fait sentir. Le manque d’entretien est comme un vent qui balais les monticules d’histoire. Situé au secteur 5 de Batié, le cimetière des « tirailleurs sénégalais » est situé au bord d’une des grandes pistes du chef-lieu de la province du Noumbiel, à droite, en venant de Gaoua.
Un site pour la mémoire
C’est le cœur noué que Nohiré Dah dit constater l’état d’abandon du cimetière. Adjudant-chef à la retraite, il est encore plus triste quand il sait que ce sont ses frères d’armes d’une certaine époque qui y reposent. « Quand on était à l’école, on venait voir les tombes des tirailleurs sénégalais. Il y avait des chaines sur lesquelles étaient inscrits leurs matricules et d’autres informations. On ne savait pas ce que cela signifiait (…) tout cela m’a inspiré à entrer dans l’armée », dit-il, nostalgique.
Il se rappelle que lorsqu’il était petit, le cimetière était bien entretenu, les allées bien tracées. « Actuellement, ça ne me fait pas plaisir de passer par là. Comme le disait Birago Diop, les morts ne sont pas morts, ils sont parmi nous. Ils sont le vent qui souffle, l’eau qui coule, on doit les respecter », poursuit l’ancien combattant.
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Selon Achille Méda, directeur provincial en charge de la culture du Noumbiel, l’administration coloniale était établie à Gaoua. Très farouche à cette présence, les habitants ne voulant pas se soumettre aux travaux forcés et à l’impôt de capitation, ont commencé à fuir vers le Ghana situé à une vingtaine de km de Batié. « Pour empêcher les gens de fuir, le colon s’est précipité pour venir installer un commandant de cercle », explique-t-il.
L’autre raison de la présence des colons français était de barrer la route aux anglais au Ghana qui menaçaient de prendre Batié. « C’est véritablement en 1927 que le colon s’est installé ici. Pour soumettre les parents qui refusaient tout asservissement, la 31e garnison a été dépêchée. Il y avait toujours des révoltes et cela a tourné au vinaigre et il y a eu mort d’hommes de part et d’autres », poursuit le directeur.
Les morts du côté de l’armée coloniale ont ainsi été enterrés là. M. Méda précise que tous les morts recensés dans le cimetière n’ont pas été du fait des révoltes. Certains sont morts naturellement et y ont été enterrés.
Un site en péril
Enseignant à la retraite et ancien député, Norbert Somé se rappelle que lui et ses camarades nettoyaient le site quand ils étaient plus jeunes. « Ça me fait très mal », soupire le retraité qui dit avoir initié plusieurs projets de réhabilitation de cette partie de l’histoire de la province et du Burkina. Pour le moment, ses initiatives sont restées sans suite.
« Au départ, nous avions dénombré 183 tombes, aujourd’hui, elles sont confondues à la terre. Certaines ont disparu. Dans un laps de temps, tout va disparaitre si rien n’est fait. Des arbres poussent sur des tombes », lance le directeur provincial comme une alerte. Il note que pendant longtemps, les habitants voyaient d’un mauvais œil ce lieu, considéré comme symbole de mort et surtout de la présence de l’envahisseur dans leur contrée. Ils ne se sont donc pas donné de la peine pour le préserver.
Douloureux souvenir ou pas, le cimetière des « tirailleurs sénégalais » fait partie de l’histoire de Batié, tranche Achille Méda qui invite les autorités nationales, la mairie ou d’éventuels partenaires à s’investir pour qu’il ne disparaisse pas des mémoires de la ville et du pays.
Tiga Cheick Sawadogo