Tourlité Palé, 38 ans, est décédé il y a 10 jours. Le repas familial au quotidien lui est toujours pourtant servi quotidiennement. Il en sera ainsi jusqu’aux funérailles du jeune homme, conformément à la tradition chez les peuples Lobi et Birifor dans le Sud-ouest du Burkina. Plongée dans une tradition séculaire menacée par les religions dites révélées.
Sous un manguier, des clients animent la causette entre deux rasades de dolo (bière de mil). L’ambiance joyeuse contraste avec celle qui règne dans la cour voisine. Il y a 10 jours, le malheur a frappé dans la famille des Palé. Tourlité, 38 ans, mourait après une courte maladie.
Ce matin-là, Dah Bléhi est à la cuisine. Avant de franchir le seuil de la cour non clôturée, l’on peut entendre le bruit de la spatule que tourne frénétiquement la mère du défunt en pleine préparation de tô (patte faite à base du farine mil). Quand vient le moment de servir, elle se saisit d’un plat et y dépose une seule louchée de la patte : c’est la part du mort, son fils.
« Nous devons enlever en premier sa part avant d’enlever celle des autres, quelle que soit la nourriture ou la boisson c’est comme ça», explique-t-elle.
Une présence invisible
Une fois tous les plats servis, elle se saisit de celui du défunt, avec un autre plat où est servie la sauce, et va déposer le tout dans l’angle d’une pièce de la grande maison. Dans cette partie de la maison, les effets personnels de Tourlité sont déposés. On y voit entre autres, un canari, des habits, du dolo, une machette…
Sa mère est convaincue, son fils goutera à sa cuisine du jour, comme il le fait depuis quelques jours. «Nous croyons que le défunt mange même si nous ne le voyons pas. Quand on se lève le matin, on fait sortir les restes et les enfants mangent. Quand les enfants finissent de manger, si on n’a pas encore préparé, on délaie du tô pour aller déposer avant de préparer », poursuit-elle, convaincue.
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Assis devant la maison, le chef de famille boit tranquillement son dolo, sous un arbre. Lui également est convaincu que chaque jour, son fils revient à la maison pour partager le repas familial et se manifeste violemment quand il ne trouve pas sa part. « S’il vient qu’il ne voit pas de la nourriture, il va repartir, tout en colère contre son père. Si tu n’as pas déposé de la nourriture, ah tu ne dormiras pas la nuit », précise le père du défunt.
Et le chef de terre de Gaoua, Sié Sonkourè Dah de renchérir : « Si on ne dépose pas la nourriture, il va secouer la maison ».
En attendant les funérailles…
Le cérémonial qui consiste à déposer nourriture et boisson chaque jour a commencé trois jours après la mort du jeune homme. Il se poursuivra ainsi jusqu’à l’organisation des funérailles, nous explique le chef de terre de Gaoua, Sié Sonkourè Dah.
« Mon fils n’est pas encore parti. Il est encore parmi nous. Ils n’ont pas encore fait les funérailles. Il n’a donc pas encore pu partir. Il n’a pas encore la route. Quand les funérailles seront finies, il aura la route », ajoute la mère du défunt.
Une fois les funérailles faites, les oncles du défunt viendront ramasser ses effets et ça sera la fin du repas du mort qui rejoindra ainsi paisiblement l’autre monde, celui des disparus.
Une tradition menacée
Le chef de terre de Gaoua, Sié Sonkourè Dah le reconnait : les adeptes des religions dites révélées ont tourné dos à ce cérémonial. « Beaucoup de frères sont dans les religions dites révélées. Ils ne se reconnaissent plus dans le repas des morts. Quand le mort est musulman ou chrétien, nous ne faisons pas ce cérémonial, que l’on soit lobi ou birifor », dit-il, avec un brin d’amertume.
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Une inquiétude quant à la pérennité de cette pratique séculaire ? Même pas, rassure le chef de terre. Selon lui, parmi ses enfants ou les enfants de ses frères, il y aura toujours des adeptes de la religion traditionnelle qui vont pérenniser la pratique.
En attendant, Tourlité Palé passe tous les jours pour manger, boire du dolo, de l’eau, le tout spirituellement.
Tiga Cheick Sawadogo