Vous êtes mangeurs de grenouilles ? Au Burkina, l’on vous dira certainement que vous venez de Mogtédo dans la commune de Zorgho. Cette commune rurale doit une partie de sa réputation à ces batraciens. Frites, avec de la soupe ou au riz gras, les grenouilles se dévorent et se vendent comme des petits pains. Mais le tarissement du barrage pourrait faire disparaitre cette réputation.
Jour de marché à Mogtédo, petite bourgade à quelques 80 km à l’Est de Ouagadougou, sur l’axe Ouaga-Koupéla. sur la RN4, c’est l’ambiance quotidienne qui règne. Les klaxons des voitures et motos sur le bitume se confondent aux brouhahas venant du marché qui se tient chaque trois jours. Des vendeuses de légumes, grosses assiettes sur la tête, hèlent les potentiels clients. Certaines proposent des articles atypiques : des grenouilles frites. C’est l’une des spécificités culinaires de la localité.
Au Nord du marché, dans un coin, des femmes s’affairent. A l’approche, l’on peut sentir l’odeur du poisson frais, ou en pleine friture. Le groupe est composé d’une bonne dizaine de femmes, accompagnées pour certaines de leurs enfants. En plus du poisson, ce sont des grenouilles que l’on peut voir sur toute l’aire : étalées au soleil, dans les poêles pour être frites, ou dans les bassines ou être dépouillées. C’est ce qu’il convient d’appeler le quartier général des grenouilles.
Assise sur un tabouret sous un hangar de fortune, Martine Sawadogo prépare un tas de grenouilles qu’elle va bientôt passer à la friture. Depuis 45 ans, c’est l’activité que mène la vieille dame. Elle le reconnait, les grenouilles ont contribué à bâtir la réputation de Mogtédo.
« Les gens même viennent d’ailleurs pour acheter. Quand on finit de frire, on envoie aussi au bord du goudron pour vendre. On a même remarqué que les gens aiment plus les grenouilles que les poissons. Il y en a qui viennent acheter pour 5000 voire plus », explique Martine.
Une résilience culinaire
Il faut dire qu’à partir de 100 F CFA, on peut s’acheter une grenouille, accompagnée d’une poudre de piment. A ce prix, impossible d’avoir un poisson, fut-il petit. Mais pour Martine, le succès de la grenouille n’est pas seulement lié à son accessibilité par rapport au poisson. « La chair de la grenouille est plus douce et délicieuse que celle du poisson », estime Martine.
De la grenouille frite, sautée, accompagnée du riz, ou encore de la soupe. Autant de possibilités de recettes à base de cet amphibien. La consommation de la grenouille s’est invitée dans les habitudes alimentaires des Mogtédolais(es) depuis quelques décennies.
Cela n’a pas toujours été le cas, nous enseigne Martine. Selon elle, tout a commencé avec le tarissement progressif du grand barrage de Mogtédo.
« Quand le barrage était en bon état, c’était le poisson, les capitaines, les silures et autres variétés qui y sortaient. C’est l’assèchement du barrage qui nous a amené vers les grenouilles, sinon avant c’était les vrais poissons », dit-elle.
De plus en plus chères
Entre un hangar et une maisonnette, Cécile (nom d’emprunt) avec son couteau éviscère un tas de grenouilles. Son constat est fait : elles sont devenues petites. Selon elle, depuis le tarissement de la retenue d’eau, les batraciens qu’elles achètent ne sont plus gros et dodus comme avant.
Son constat est partagé par les autres femmes qui font dans ce commerce. A Mogtédo, il n’y a vraiment plus de grenouilles et ce qu’on trouve sur l’aire du marché est en réalité venu des communes voisines. Tout naturellement, le prix connait une hausse : le kilo de grenouilles est acheté entre 1200 et 1250 FCFA pour être revendu en détail. Il y a quelques années, le kilogramme était à 500 F CFA.
La grenouille est aussi prisée ailleurs. L’on parle de cuisses de grenouilles frites, de cuisses de grenouilles panées, en sauce, en persillade, en fricassée, aux épices, au vin blanc en Europe, particulièrement en France qui importe 3000 à 4000 tonnes par an. Mais Mogtédo ne pense pas encore à exporter ses succulentes grenouilles qui ne satisfont pas la demande locale.
Tiga Cheick Sawadogo