Une crèche atypique a vu le jour à Koudougou, dans la région du Centre-Ouest. Ici, des membres dévoués d’une association ont mis en place une garderie franco-mooré. Leur objectif ? Promouvoir les langues nationales tout en aidant les tout-petits à mieux assimiler les enseignements dispensés. Cette initiative unique allie tradition et modernité, créant un pont entre deux cultures pour faciliter l’apprentissage dès le plus jeune âge.
Un soleil de plomb s’étale sur Koudougou en ce jour ordinaire, pourtant si singulier pour les enfants de l’Espace d’épanouissement « Yabyiri ». Niché au secteur 1, ce centre est le théâtre d’une expérience pédagogique innovante : une crèche franco-mooré, où les rires d’enfants résonnent, mêlés au chant des langues. Il est presque midi. Derrière le portail, l’écho des bavardages fuse.
Une trentaine d’enfants de moins de cinq ans suivent les enseignements d’éveil de mathématique. Debout face au tableau, bâton en main, la monitrice lève la voix. « 1+1 font combien ? », interroge-t-elle. Les petites mains jaillissent, l’air vibrant de cette impatience enfantine. « Moi, madame ! Moi, madame ! »
C’est une fillette qui s’avance, timide mais déterminée. « 1+1 égale 2 », articule-t-elle en écrivant la réponse. Mais la leçon ne s’arrête pas là. La monitrice, dans un sourire, reprend la question, cette fois en mooré. Un silence s’installe brièvement. Puis, du fond de la salle, une voix hésitante résonne : « 1+1 égale 2 » en langue nationale.
Lire aussi: Ouagadougou, une école envahie par un marché
Cette méthode, tout en douceur, fait partie intégrante de l’approche de ce centre. « Quand on leur parle en mooré, ils comprennent mieux, même si ce sont des enfants qui se débrouillent en français », avoue la monitrice. Ici, deux femmes, formées au sein des structures d’alphabétisation « bantaré », encadrent une trentaine d’enfants avec une pédagogie à mi-chemin entre tradition et modernité.
« On leur parle directement en mooré »
Sans cette formation, elles reconnaissent qu’elles n’auraient pas été aussi efficaces avec les enfants. « Mais, ce n’est pas facile, avertit la monitrice Catherine Samba, ce sont des enfants. A cet âge-là, ils sont beaucoup préoccupés par le jeu. Il faut savoir gérer tout ça ».
L’Espace d’épanouissement pour enfants « Yabyiri » encadre 95 enfants, répartis en deux sections. Il a été mis en place par Association pour la protection et le soutien de l’enfance défavorisée (APROSED) dirigé par Vincent Seogo. Le premier groupe concerne les enfants âgés entre 2 et 3 ans. Les enfants âgés entre 4 et 5 ans composent la deuxième section.
Créé en 2014 par l’Association pour la protection et le soutien de l’enfance défavorisée (APROSED), l’Espace Yabyiri a été pensé pour ces tout-petits, majoritairement non francophones à leur arrivée. « On leur parle directement en mooré parce que ce n’est pas évident », résume Valentin d’une voix posée. C’est méthode utilisée depuis 2014, date de création de centre, fait recette assure l’initiateur.
Un volet social
Mais cet espace n’est pas qu’un lieu d’apprentissage. Il porte aussi une vocation sociale forte, précise Valentin : « Nous permettons à des femmes qui se battent tous les jours, qui parcourent des kilomètres pour aller chercher des légumes et vendre dans les marchés et qui ne savent pour où amener les enfants pendant tout ce temps, de les envoyer ici ».
Les frais de scolarisation sont étudiés : « C’est juste cette contribution que nous demandons aux parents pour qu’ils puissent faire fonctionner le centre. Ce n’est pas une somme obligatoire. Chacun paye en fonction de ses revenus de façon échelonnée jusqu’à la clôture de nos activités ». Ces contributions aident à préparer pour les enfants, acheter du savon, entretenir les lieux etc.
L’Espace d’épanouissement pour enfants « Yabyiri » bénéficie du soutien du Secrétariat permanent du Conseil national de lutte contre le Sida et les infections sexuellement transmissibles (SP/CNLS/IST) qui fournit l’établissement en fournitures scolaires.
Le centre manque de financement et vit principalement sur la contribution des membres de l’association selon Seogo. « Il y a des partenaires aussi qui viennent souvent jouer au djembé ou du ballon pour les enfants ou mener des activités. Certains amis ont contribué à la décoration des manèges dans le centre », souligne au passage Seogo.
Satisfaction des parents
A midi, comme convenu, la cloche sonne. Après un chant demandé par la monitrice, les enfants quittent la salle de classe au pas de course en lançant des cris de joie. A l’extérieur, ils sont attendus par leurs parents venus les chercher. Parmi eux, Thérèse Zongo dont l’enfant fréquente cette garderie depuis deux ans. « Mon enfant ne savait pas compter quand il venait ici. Maintenant, il sait compter. Il sait chanter. Il connait les sept jours de la semaine en français et en mooré », se réjouit Thérèse Zongo, le sourire grand ouvert.
Sur sa moto et visiblement pressé de de rejoindre son domicile avec ses jumeaux, Édouard Paré, enseignant trouve le temps d’accorder une interview. Avec ses jumeaux, il avait besoin d’un cadre au prix abordable pour contribuer à leur éveil.
Un enseignant sur l’école bilingue
Cet enseignant salue la pédagogie utilisée par le centre : « Ils apprennent le français et le mooré et à la maison il s’exprime dans les deux langues. Il n’y a pas une langue qui prévaut sur l’autre, c’est bien et cela permet d’avoir une approche diversifiée des choses », apprécie-t-il.
En attendant, Vincent Seogo et ses partenaires envisagent la construction d’une école primaire afin d’assurer un meilleur suivi des enfants.
Écouter ce reportage audio
Boukari OUEDRAOGO