Des familles brisées, des enfants déscolarisés, des morts par chagrin, des souvenirs douloureux d’un passé si proche et si loin. Plus de 20 ans après la liquidation de l’usine Faso Fani à Koudougou, des ex-employés ressassent les souvenirs d’une décision qu’ils ne comprennent toujours pas.
Plus de 20 ans après, Moctar Yaméogo revient à l’ex usine de Faso Fani. Comme déboussolé, le regard inquisiteur autour de lui, il marche doucement dans la vaste cour de l’usine. Devant les bâtiments fermés et délaissés, il soupire comme par dépit : « Je me rappelle de tous les bâtiments et de certains amis qui y travaillaient. Certains sont morts ».
Le site n’est plus que l’ombre de lui-même. Accompagné de deux agents d’une société privée de sécurité qui veille sur les lieux abandonnés, Moctar marque un arrêt devant le bâtiment qui abritait la section filature où il travaillait. « Quand tu étais dans l’usine, tu ne savais pas qu’il faisait jour ou nuit. C’était très éclairé ». Souvenir d’un travailleur déflaté.
Période de gloire
L’usine Faso Dafani a vu le jour en 1960. Elle a fait la fierté de la région du centre-Ouest et du Burkina, surtout pendant la période révolutionnaire quand les leaders ont mis un point d’honneur à promouvoir « le consommons local ». De la cotonnade cultivée au Burkina, tissée au Burkina pour habiller les Burkinabè, disait Thomas Sankara à tribune de l’Organisation de l’unité africaine.
Les périodes de gloire de Faso Fani, c’était sous la révolution, se souvient Yamba Issaka Ouédraogo, tisserand à l’époque. Ses yeux s’illuminent et c’est avec fierté qu’il dit avoir confectionné les tenues des militaires. « Même les tenues des militaires étaient confectionnées à Faso Fani et c’était nous. Les couvertures, les serviettes… Sankara avait institué le Faso danfani comme tenue des élèves, tout cela aidait l’usine. Malheureusement, ce n’est pas allé loin. Le pouvoir a changé de camp», dit-il d’une petite voix.
L’acte de décès de cette source de fierté a pris le 31 mars 2001. Elle est simplement liquidée suite aux recommandations de la banque mondiale dans le cadre des Programmes d’ajustements structurels.
Raisons politiques ou économiques ?
« On était préparés, mais on y croyait pas. On vendait, donc on n’est pas tombé en faillite. En 1990, il y a eu la première compression », se rappelle François Yaméogo, chef d’atelier qui a travaillé pendant plus de 30 ans dans la défunte usine.
Alors pourquoi l’usine a donc mis les clés sous le paillasson malgré son succès ? « On nous a dit ça ne marche pas et ils ont fermé. Mais dans les coulisses, on nous a dit autre chose. Les hommes politiques ont dit que ce sont eux qui ont fermé », nous souffle François, sans plus. « Ça ne sortira pas de ma bouche », se contente-t-il, pour éviter de parler de décisions purement politiques.
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Mais plusieurs décennies après, l’ancien chef d’atelier a toujours des questions sans réponse. « Vous cultivez le coton pour n’utiliser que 5%. Aujourd’hui on n’est obligés d’aller acheter le fil au Mali et au Niger, c’est quoi ça ? », se demande-t-il a avec une voie teintée de colère.
Assis sur la terrasse de sa maison au secteur 10 de Koudougou, Hamidou Ouédraogo dit Sergent, ancien tisserand de la défunte usine pointe une mal gouvernance. « Il y avait peu de travailleurs, mais ceux qui touchaient les salaires étaient nombreux. Il y a des gens qui ne travaillaient pas, mais avaient un salaire. Du coup, nous même dans nos petites positions savions que tôt ou tard, l’usine connaitrait des difficultés ».
Le choc de la fermeture
A la fermeture de l’usine, ce fut le calvaire pour les employés qui même préparés, accusent mal le coup. « En ce moment, nous étions comme des fauves, des lions. A minuit, c’était rare de trouver un chef de famille chez lui. Tu n’as rien, pourtant tu dois subvenir aux besoins de la famille, nourrir femmes et enfants », se rappelle avec nostalgie « Sergent » qui ajoute que les ex travailleurs ont manifesté avec femmes, enfants et ont été « pourchassées frappés, gazés », par les forces de l’ordre dans les rues de Koudougou.
Presqu’au bord du sanglot, Moctar devant son ancien bâtiment de service, se souvient de cette période. Jeune, il venait juste de se marier. « Quand je me suis marié, le mois qui a suivi, on a arrêté le travail. L’usine a été fermée. Il y a des gens qui disaient à ma femme de ne pas m’accepter parce que je travaille à Faso Fani menacé de fermeture. Mais on a supporté, on a eu trois enfants avant que ma femme ne décède », témoigne avec émotion, celui qui s’est par la suite converti en mécanicien.
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Plusieurs promesses de relance de l’usine ont été faites. Surtout pendant les campagnes électorales par les candidats. Blaise Compaoré et Roch Kaboré ont promis. Mais une fois élu, aucune machine n’a vrombi à nouveau. Moctar Yaméogo finit sa visite sur ces lieux chargés de souvenirs. Il se retourne pour jeter un dernier regard avant de franchir la porte de l’enceinte.
Tiga Cheick Sawadogo