Promotrice de tournoi de football féminin, Marguerite Karama a créé le tournoi des cinq nations et le tournoi international du football féminin (TIFFO). Elle est aussi la fondatrice des Princesses du Kadiogo. Dans cette interview, Marguerite Karama revient sur le parcours qui a abouti à la qualification de l’équipe nationale féminine à la CAN pour la première fois, les obstacles au développement du football et ses projections.
Les Etalons disputent la Coupe d’Afrique des nations après 13 éditions. D’abord, en tant que promotrice de tournoi de football féminin, comment avez vécu la qualification de l’équipe nationale ?
J’étais très contente. Il y a longtemps que le Burkina Faso s’est engagé dans la promotion du football féminin. Nous avons un bon championnat qui est subventionné avec la prise en charge des frais transports, d’hébergement et beaucoup d’autres actes qui entrent dans la promotion du football féminin. On peut encore citer la formation des arbitres, des entraîneurs appuyée par la CAF etc. Mais de tout cela, le plus important pour nous est la participation à la CAN qui est une vitrine de ces pays qui organisent un championnat. On n’avait pas une équipe nationale organisée qui pouvait défendre les couleurs du Burkina Faso. Les filles d’autres pays qui sont dans les championnats huppés sont passées par la CAN. Mais nous n’avions jamais eu l’occasion de participer à ces phases finales alors qu’on a des filles, aujourd’hui à la retraite, qui pouvaient avoir des contrats à l’extérieur pour vendre leur talent. Mais, il était très important pour cette génération de se qualifier au moins une fois et participer à cette vitrine qui va lancer la carrière de nos joueuses. J’ai versé des larmes parce que j’étais arrivée à un certain niveau où je n’y croyais pas. C’était vraiment une joie. Lors d’une édition du tournoi des cinq nations, nous avons même forcé la création d’une équipe nationale féminine en réservant la compétition aux équipes nationales. Mais, on n’a pas été soutenue. Cette qualification du Burkina à la CAN féminine est un rêve d’enfant qui se réalise.
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Retrouvez bientôt dans votre émission CERLE FEMININ, Marguerite Karama. Elle a été 1ere femme burkinabè commissaire de match à la CAF.Elle partage avec vous, sa vie de femme, de mère et sa passion pour le football.
Retrouvez bientôt l’émission sur Burkina Info (canal 253). pic.twitter.com/dCqn3cBTPw— Tchimadi Hagada Judith Gaëlle (@tchimadi) June 4, 2018
Les filles affirment que les parents s’opposent encore au fait qu’elles jouent au football. Est-ce que vous pensez qu’avec cette qualification, peut convaincre les parents de laisser les filles jouer ?
Au niveau du football masculin, nous sommes à un niveau encore d’amateur. Le championnat masculin n’est pas professionnel encore moins celui des filles. Nous avons joué le match d’ouverture contre le Maroc, comme face au Cameroun avec les hommes. Nous savons que les parents vont pouvoir suivre ces matchs parce qu’ils se jouent au moment où les parents sont à la maison. Les Burkinabè aiment beaucoup les Etalons. Avec la CAN féminine, lorsque les parents verront les filles avec le maillot du Burkina Faso ils laisseront les filles jouer au football. Sinon, sans mentir, jusqu’à nos jours, ce n’est pas facile. Il y a des choses qui se disent au niveau du football féminin, comme quoi, les filles sont des garçonnets etc. Cela rend les parents retissant. Mais quand ils vont voir les filles qui portent les maillots des Etalons, les mentalités vont changer. Mais ce qui est important, il faut créer des modèles au niveau des filles comme les Dagano, les Alain Traoré. Il faut que nous arrivions à avoir des modèles au niveau des filles. Si certaines filles réussissent à avoir de bons contrats à l’extérieur, je pense que ça va faire réfléchir les parents.
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Vous organisiez le tournoi des cinq nations, puis Tournoi international de football féminin de Ouagadougou (TIFFO), il y a quelques années. Qu’est ce qui a motivé la création du tournoi des cinq nations ?
Au niveau de la sous-région, nous avons les mêmes problèmes socio-culturels qui empêchent les fédérations de prendre au sérieux le football féminin. On avait les mêmes problèmes au Mali, en Côte d’Ivoire, au Togo, au Bénin et au Niger. On n’avait pas d’équipe nationale hormis la Côte d’ Ivoire. Je suis fière aujourd’hui de savoir que dans la même CAN, il y a le Togo à sa première qualification à la CAN. Le Togo est membre fondateur avec Patrice Agoli monsieur Pewa, François Kouassi de la Côte d’Ivoire, Super Lionnes de Hamdalaye. On était cinq dirigeants qui étaient sûrs que ce que nous faisons était pour l’avancer du football féminin. Nous avons tout fait pour attirer l’attention sur le football féminin que les pays anglophones comme le Nigeria et le Ghana étaient en avance.
Pour vous donc, la qualification de l’équipe nationale féminine à la CAN féminine est le résultat de tous ces efforts ?
Oui. La Côte d’Ivoire s’est déjà qualifiée pour la CAN. Le Mali a déjà plusieurs fois participé. Nous avons aujourd’hui le Bénin éliminé par le Burkina Faso mais aussi le Togo qui est qualifié. Nous attendons maintenant la qualification du Niger et du Bénin à la prochaine CAN, surtout les équipes d’Afrique de l’Ouest. L’organisation du tournoi des cinq nations était difficile mais les gens voyageaient en car dans des conditions pas possibles pour participer à cette compétition.
Et que devient cette compétition ?
Je peux dire que ce tournoi est en pointillé tout simplement parce qu’il fut un moment où les gens ne nous soutenaient pas. Les conditions étaient difficiles. L’organisation demandait des moyens financiers. Les équipes participantes n’étaient même pas soutenues dans leurs pays. C’était très difficile pour elles de participer à cette compétition comme il faut. A un certain moment, c’était difficile ; on était obligé de mettre une virgule pour voir ce qu’on pouvait faire. Mais de nos jours, le football féminin se porte bien. Je viens de lire que la CAF a augmenté la subvention à la CAN féminine de 150% ! Vous imaginez l’importance que la CAF donne au football féminin. Je sais que maintenant les fédérations vont se battre afin de faire qualifier leurs équipes afin de bénéficier de ces fonds qui peuvent aider à faire développer le football féminin.
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Les résultats sont là mais l’équipe féminine a eu des difficultés de préparations et des problèmes de primes.
Il faut reconnaître que le Burkina Faso était engagé sur plusieurs fronts. Les cadets et les juniors étaient en compétition. Les séniors disputaient les éliminatoires de la CAN 2023. Ce n’est pas pour autant que le football féminin est négligé. Si on sait d’où nous venons, nous devons savoir où nous sommes aujourd’hui. Les filles ont quand même joué des matchs. Vous n’avez pas cherché à savoir quelles étaient les conditions. Rien n’a changé. C’était les mêmes conditions. Quelqu’un disait que notre qualification est comme une grossesse non désirée et on fait avec. Je n’ai pas aimé cette comparaison mais quand j’y réfléchi, on ne s’attendait pas effectivement à cette qualification parce que les gens ne s’attendaient pas à ce qu’on se qualifie. On a l’impression que cela a surpris. Aux Etats-Unis, c’était les mêmes conditions. Elles sont allées au mondial et sont revenues revendiquer pour être payées au même titre que les hommes. Elles ont eu gain de cause. Les Etats-Unis sont un exemple parce que les filles ont remporté des Coupe du Monde leur pays alors que les hommes ne l’ont pas encore fait. On se rappelle le Cameroun qui était allé au mondial pour revenir au ministère revendiquer leurs primes. On a souvent entendu dire « on n’a pas fini avec les garçons, c’est vous les filles qui êtes là. » Ce n’est pas un cas isolé du Burkina Faso. Le football féminin doit savoir aussi se vendre. Les femmes consomment plus que les hommes. Que ce soit les téléphonies ou les produits laitiers par exemple. Il faut utiliser les filles pour faire de la publicité pour que l’argent revienne au football féminin. Mais les sponsors préfèrent aller vers les garçons. Les sponsors doivent aussi s’intéresser aux femmes. Je ne pense pas qu’il faut au ministère
Pascal Sawadogo, le sélectionneur national, affirme que son objectif, c’est la Coupe du Monde. Est-ce un objectif atteignable selon vous qui connaissez bien l’équipe ?
Qu’est ce qui n’est pas possible en football ? C’est la détermination seule qui paye. J’étais déterminée jusqu’au jour où j’ai versé des larmes après la qualification. Personne n’a jamais imaginé que ce que je disais à l’époque, qu’on y sera un jour, était la vérité. Les quatre équipes demi-finalistes sont qualifiées en Coupe du Monde. Si tu n’es pas qualifiée, tu dois encore joué un match de barrage. Pourquoi Pascal ne va pas être ambitieux ? Il doit l’être. On vise loin. Nous visons la Coupe du Monde et nous irons à la Coupe du Monde. C’est avoir de la vision que d’y penser. Si on arrive en demi-finale, les sponsors vont suivre. Je sais qu’on va séduire ces sponsors.
Entretien réalisé par Boukari OUEDRAOGO