La journée, ils n’arrivent plus à travailler. La nuit, impossible de fermer l’œil en cette période de canicule. Ouagadougou vit au rythme des coupures intempestives d’électricité depuis quelques jours. Des citoyens subissent des pertes dans leurs activités et sont contraints au chômage technique. Gérants de pressing, de boucherie, de poissonnerie ou soudeurs broient du noir.
Silence inhabituel dans l’atelier de soudure de Joseph Bado à Koulouba, un quartier situé au centre-ville de la capitale. Assis avec deux de ses employés, le maître des lieux, grille une cigarette. Ces derniers jours, il lui arrive de venir s’asseoir du matin au soir sans rien faire. « Tant qu’il n’y a pas de courant, il n’y pas de travail », résume celui qui est installé là depuis plus de 30 ans.
Joseph ajoute avec une petite voix que son chiffre d’affaires a dégringolé en quelques jours. En plus, il doit faire face à ses clients qui ne comprennent pas la situation. « Cela nous crée des difficultés avec nos clients qui nous traitent de faux parce que nous donnons des faux rendez-vous. Des clients sont venus, ont donné leur argent pour faire du travail, quand ils sont venus et que le travail n’est pas fait, ils ont exigé le remboursement alors que le matériel est déjà acheté. Tu n’as plus de liquidité, tu fais comment? », lance-t-il, l’air impuissant.
Lire aussi : Coupures d’électricité, onde de choc chez des jeunes ouvriers de Ouagadougou
A Wentenga, un autre quartier de la capitale, la situation n’est guère reluisante. Propriétaire d’un pressing, Ousmane Sanogo est assis ce matin-là derrière le comptoir, les yeux plongés dans son téléphone. Oisif, il l’est. « Actuellement même nous sommes assis, il n’y a rien à faire », dit-il, avec un ton qui traduit son dépit. Comme Joseph à Koulouba, Ousmane aussi a maille à partir avec ses clients à cause des rendez-vous difficiles à respecter. « Le peu de clients qui nous reste subit des faux rendez-vous. Quand il n’y a pas d’électricité, on ne peut rien faire. Régulièrement nous sommes obligés de demander la clémence des clients », poursuit-il.
Sale temps pour les bouchers et les poissonniers
Regarder sa marchandise se gâter, faute de froid et être obligé de la jeter. C’est avec impuissance que Moussa a jeté des carcasses, faisandées. Ses deux gros réfrigérateurs entreposés dans sa boucherie de Wentenga sont les témoins de ces durs moments pour le jeune boucher.
« Le courant est parti depuis avant-hier nuit aux environs de 20h, c’est hier aux environs de 8h qu’il est revenu. Quand on a branché nos machines, ça n’a pas fait plus de trois heures, c’est encore parti entre 11h et 12h. Jusqu’à 20h quand nous rentrons, ce n’était pas encore venu. Tout ce qui était dans le frigo, inutile de vous dire qu’on était obligés de jeter », nous explique le boucher avec un air triste. Des pertes à hauteur de plus de 50 000 F CFA et les coupures continuent.
Au marché de Zogona également, Bachirou Tapsoba soupire pour sa poissonnerie à chaque fois que le courant coupe. Ce matin du 28 mars, il a été contraint de mettre à la poubelle une bonne partie de son poisson. « Par exemple hier toute la journée, on n’a pas eu plus de 2 ou 3h de courant. Nos frigos étaient décongelés, nos poissons sont gâtés. Il y a des poissons quand ils décongèlent c’est fini, on ne peut plus recongeler», relève-t-il, le visage grave.
Du jamais vu
Chaque année en période de forte chaleur, la Société nationale burkinabè d’électricité (SONABEL) peine à satisfaire la demande, plus grande. Mais les personnes rencontrées dans le cadre de ce reportage déplorent une situation exceptionnelle. « Cette année c’est vraiment pire », soupire Joseph Bado, le soudeur. « Si ce n’est pas cette fois, on n’a jamais connu une coupure de ce genre depuis que nous sommes ici », renchérit Moussa le boucher. « Cette année en tout cas, c’est pire que les années précédentes, je ne sais pourquoi », enfonce Bachirou le poissonnier.
Joseph regrette particulièrement qu’il n’y ait pas de calendrier de coupure de courant, comme le faisait la SONABEL les années précédentes, ce qui lui aurait permis de mieux planifier son programme de travail. « On ne peut pas prévoir. Tu commences à travailler et le courant se coupe. Avant il y avait des communiqués. On savait que tel jour à telle heure, il y aura coupure dans telle zone. Mais actuellement vraiment je ne sais pas si c’est moi qui ne suis pas les informations, mais je n’ai pas ces informations », maugrée le soudeur.
Dans un communiqué le 27 mars 2023, la nationale de l’électricité a informé « que suite à un incident majeur qu’a connu son fournisseur au Ghana, la fourniture de l’électricité à partir de ce pays est interrompue depuis ce mardi 26 mars 2024 à 20h 48 ». Alors qu’elle a aussi rassuré que ses équipes sont mobilisées pour un retour à la normal dans les meilleurs délais, les coupures, qualifiées de sauvages par certains citoyens se pourusivent.
Tiga Cheick Sawadogo