A 15 ans, Salma (nom d’emprunt) pourrait être mariée à tout moment. Son prétendant, le frère de sa marâtre, qu’elle n’a jamais vu, la cinquantaine, débarquera un jour sans prévenir et la mariera. C’est l’usage. Un jour, mais quand ? Elle ne le sait pas. Pour cette déplacée interne qui a fui Silgadji dans le Sahel avec sa famille, Ouaga la capitale n’a pas été si accueillante.
Couverte d’un voile fleuri, Salma va et vient entre cette vaste cour qui sert d’abri pour sa famille et la fontaine d’où elle ramène des bidons d’eau. Son père, assisté de sa mère, prend le relais pour arroser les plants du petit jardin familial à Panzani, à la sortie nord de la capitale. Quand elle se libère de sa corvée journalière, c’est dans une autre cour qu’elle se retire, loin des regards et des oreilles indiscrètes qu’elle s’installe sur une chaise.
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Elle a une douce voix murmurante qui résonne d’innocence. Un visage radieux parsemé d’acnés d’adolescents. Se frottant légèrement les mains comme si elle avait froid, Salma raconte que son destin a été scellé le jour même de sa naissance. « Dans notre culture, quand un visiteur tombe sur une naissance et que le nouveau né est une fille, c’est en même temps sa femme qu’il peut marier ou donner en mariage », explique-t-elle.
Là n’est pas le problème pour la jeune fille, puisqu’elle rappelle que toutes ses sœurs ont été aussi données en mariage. « Ce qui me dérange, c’est que celui à qui on m’a donné est d’un âge avancé, entre 50 ou 60 ans. J’ai pratiquement le même âge que son enfant qui a 14 ans. Il avait deux femmes, il y a une qui est décédée. », poursuit la déplacée qui ne cache pas sa peur d’avoir une coépouse à son âge. Impuissante, la native de Silgadji dit n’avoir pas de solution et surtout avoir peur de son père et de ceux qui encouragent ce dernier à donner sa fille pour honorer la promesse faite. « J’ai peur qu’il me maudisse », poursuit-elle le regard perdu.
Un poids au cœur de l’adolescente qui s’ajoute à un autre plus lourd : celui d’un viol dont elle a été victime dans un quartier de la capitale alors qu’elle y était pour aider la femme de son oncle à vendre des pagnes et dont elle porte encore les séquelles.
L’imprévisible étau
Salma n’a jamais vu son futur mari. Mais l’étau semble se resserrer depuis que des envoyés sont venus remettre l’argent pour contribuer aux dépenses du mariage. Une alerte qui témoigne que le grand jour n’est plus loin. « On ne t’informe pas quand est-ce qu’ils vont venir te chercher. Ils sont venus remettre 60 000 F CFA pour les préparatifs du mariage et voulaient me marier avant mes deux grandes sœurs, et ma mère s’est opposée. J’ai passé la journée à pleurer, j’étais déçue », se rappelle-t-elle, une fois de plus la gorge nouée.
Tous les jours, la jeune fille dit vivre un compte à rebours sans fin. Son cœur bat la chamade quand elle aperçoit des étrangers se diriger vers le domicile familial. « Tous les jours j’ai peur. Tu peux t’asseoir et on va te dire que ton mariage c’est dans quelques jours. Tu n’as pas le numéro de ton prétendu mari pour l’appeler pour que vous causiez», se désole la déplacée avec un air de dépit.
Après quelques années passées en ville, loin de son Silgadji natal, elle espérait que le pacte serait caduc et que pris dans l’engrenage du déplacement forcé, son mari renoncerait. Alors, elle s’était mise à rêver. « J’aimerai aussi que quelqu’un me fasse la cour, que je vais aimer avant de me marier. Là on pourra mieux se comprendre. Mais dans cette situation, on ne s’est jamais vus. Je ne sais pas ce qu’il aime, ce qu’il n’aime pas, son caractère », détaille Salma.
Victime d’implications multiples
Sa mère, Fatoumata, est la seule devant qui Salma peut manifester son opposition face à ce mariage forcé. Impuissante également, elle se garde de se prononcer sur une question qui visiblement a plusieurs implications. « Vraiment on n’a rien à dire », se contente-t-elle et s’emmure dans un lourd silence.
Comme si elle avait beaucoup à dire mais se l’interdisait, la mère de la jeune fille reprend : « Si je me hasarde à me prononcer sur le sujet, on me traitera de tous les noms. C’est compliqué. Elle pleure tout temps et vraiment je ne supporte pas, ça ne me plaît pas du tout, mais je ne peux rien faire. C’est la tradition », lâche-t-elle avant de replonger dans une autre séquence de silence.
En réalité, le futur mari de Salma est le frère de sa marâtre. La jeune fille ne peut discuter du sujet délicat à son pater pour ne pas courir le risque de bannissement, sa mère aussi à cette peur bleue d’en parler à son mari. « Ce problème ne peut être discuté avec le chef de famille. Si tu parles, on va dire que c’est une querelle de coépouse. Moi aussi j’ai ma limite. J’ai celui que je crains aussi…», se résigne la mère, d’une petite voix, le regard fuyant.
Une infime lueur d’espoir
Sur le site des déplacés internes de Panzani, le dossier Salma n’est pas étranger à celui qui fait office de responsable. Ali Tapsoba, dit en avoir parlé à un contact à l’Action sociale qui lui a suggéré d’attendre que le processus du mariage soit enclenché avant que les services compétents n’interviennent. «Je suis sur le dossier. Du matin au soir, je surveille », rassure-t-il.
Les cas de mariages forcés ne sont pas rares sur le site des déplacés internes de Panzani, nous apprend Ali qui précise toutefois que celui de la déplacée « est vraiment coriace », d’où sa décision de porter l’affaire à l’Action sociale. Pour éviter toute surprise, le responsable du site confie avoir mis la jeune déplacée ‘’sous surveillance’’. « J’ai alerté des gens autour du domicile», glisse Ali.
En attendant l’épilogue de son problème, Salma vend de l’igname bouillie dans le quartier. De quoi soutenir sa famille dans le besoin. Sous le regard de sa maman qui ne cache pas sa préoccupation pour le sort de sa benjamine : « Mes bénédictions l’accompagnent quelle que soit sa décision ! ».
Tiga Cheick Sawadogo