Au cimetière de Kamboince, sortie nord de Ouagadougou, des jeunes contribuent à apaiser les peines de ceux qui viennent inhumer leurs morts. Ils creusent des tombes de façon bénévole. C’est une simple initiative de deux personnes au départ avec quelques pioches et pelles. Elle est désormais une association de plus de 30 membres avec du matériel plus sophistiqué. Ils bâtissent chaque jour dans le sol, les dernières demeures.
Un nouveau jour sur la nécropole de Kamboince. Sortie nord de Ouagadougou, dans l’arrondissement 9. Le parking à l’extérieur est bondé de voitures et d’engins à deux roues. Signe de la grande affluence en ce lieu de tristesse. A l’intérieur, plusieurs groupuscules essaiment les lieux. Des centaines de personnes, sont soit assises sous des arbres, les visages graves, soit debout autour des tombes, certains pelles en main. Aux coups sporadiques des pioches s’entremêle le vrombissement des tronçonneuses.
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D’un point à l’autre, Aboubacar Tiemtoré, la quarantaine, trapu, va et vient. Visiblement très sollicité, il fait le tour des tombes en préparation et semble donner des directives. C’est lui, le premier responsable de ces jeunes bénévoles qui préparent les dernières demeures. Dans ces mouvements incessants, il fait souvent un brin de causette avec des passants. Ces derniers visiblement lui témoignent leur gratitude et formulent des bénédictions.
Ce matin d’avril 2024, Ousmane Sourwema est venu enterrer une parente décédée à l’aube. Aboubacar et ses camarades ont aidé à creuser le tombeau. « Quand on vient, ils (les fossoyeurs) font le tour pour choisir un endroit, pour éviter de tomber sur une tombe avec un cadavre. Ils aident dans tout le processus de préparation de la tombe et ils n’exigent rien » explique Ousmane qui malgré la douleur de la perte, affiche une mine de satisfaction.
Au début, la scène des trois vieux
Il y a une dizaine d’années, Aboubacar Tiemtoré traverse le cimetière, alors non clôturé, pour aller au marché de Sankar Yarré où il est commerçant. Une scène attire son attention. Trois vieux s’échinent à creuser une tombe dans un sol caillouteux. Pris de compassion, il descend de sa monture se met à la tâche à leur côté. Par la suite, il décide avec un ami de passer une fois par semaine pour donner un coup de main aux familles éplorées « à cause de Dieu et pour recevoir des bénédictions », précise-t-il.
« Dès qu’on finissait, on disparaissait et des gens même disaient qu’il y a des génies qui aident à creuser les tombes », poursuit-il. Leur action est bien appréciée. D’autres jeunes se joignent à eux. Ils finissent par créer une association. L’association Song-Taaba wend Yinga (Aidons-nous pour Dieu, entraide désintéressée, en langue mooré) compte maintenant plus de 30 membres.
Des pioches rudimentaires du début, est venu s’ajouter du matériel plus sophistiqué, grâce à la générosité de certaines personnes. Le Président précise que la structure bénévole comporte plusieurs sections dirigées par des responsables : chef du matériel, des parpaings, de l’eau, de la mécanique. « Certains viennent pour enterrer leurs morts, ils n’ont même pas de moyens de s’acheter des briques, c’est l’association qui gère tout ça », souffle Boureima Yaméogo un bénévole. Tronçonneuse en main, il est aux prises avec un sol latéritique.
Ces histoires qui renforcent l’engagement
« Ce sont des gens d’une générosité inégalée », résume Rahima Guiguemdé venu pour l’enterrement d’un proche. Tout en saluant l’esprit de solidarité de ces jeunes envers des personnes éplorées qu’ils ne connaissent généralement pas, il estime qu’ils contribuent à essuyer les larmes de ceux qui ont perdu un être.
Un autre monde, avec ses histoires. C’est ainsi que Aboubacar et ses camarades qualifient le cimetière. Selon eux, malgré les difficultés, certaines scènes les renforcent dans leur engagement bénévole. Le président se souvient encore de cet homme qui a amené de très loin, sa femme se soigner à Ouaga. La malade décède et par manque de moyen pour rapatrier le corps au village, l’époux décide de l’enterrer au cimetière de Kamboince. Il est sans accompagnant, et sans argent. L’association s’occupe de tout.
« A la fin de l’enterrement, il voulait même dormir dans le cimetière parce qu’il n’avait pas les moyens de se payer le transport retour, en attendant le lendemain pour trouver une solution. Alors j’ai passé l’information dans le cimetière et j’ai demandé de l’aide pour lui. Les gens ont contribué, c’est ainsi qu’il a eu de quoi payer son transport », se rappelle Aboubacar avec émotion.
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Gérant d’un pressing pas loin de là, quand son temps lui permet, Ouédraogo Abdoul Aziz passe donner un coup de main à l’association. Aboubacar le dit avec insistance. Tous les membres de l’association ont une activité hors des quatre murs du cimetière. « Moi je vais en Côte d’Ivoire et au Ghana pour acheter de la banane plantain », précise-t-il, comme pour couper court à ceux qui pourraient penser que l’association fait du business sur les dépouilles.
Dans certains cimetières, la tombe est vendue à 300 000 F CFA pour les musulmans, et 600 000 F CFA pour les chrétiens (à cause des dalles en béton). «Si c’était pour vendre, actuellement on serait immensément riches. Il y a des gens qui viennent nous proposer l’argent pour qu’on les aide à inhumer rapidement leur mort, mais notre principe, c’est par ordre d’arrivée », rassure le Président.
Par contre l’entretien du matériel, l’achat du carburant, la confection des parpaings et bien d’autres ont un coût à supporter. Alors, à la fin de chaque enterrement, l’association passe un message de demande de soutien, tout en insistant que ce n’est pas une obligation.
Le sentiment d’avoir été utile à son prochain en peine. Ce ressenti-là, Boureima Yaméogo l’a chaque soir avant de se coucher. Et souvent aussi, un sentiment de n’avoir pas pu satisfaire tout le monde, parce que débordé. L’association pouvant aider à creuser plus de 50 tombes par jour.
Tiga Cheick Sawadogo