Naba Djiguemdé est le chef du canton de Lallé, une circonscription qui s’étend sur quatre provinces selon les notables. Intronisé il y a environ un an, le chef de canton marque par sa jeunesse. Malgré ses nouvelles responsabilités qui est d’être le garant de la tradition, Naba Djiguemdé poursuit ses études à l’Université de Ouagadougou. Continuer à l’école du blanc est pour lui un symbole d’ouverture.
A l’entrée de la grande cour du chef de Lallé située au quartier Zakin de Koudougou, deux jeunes gardes, des gourdins en main, accueillent les invités. L’air méfiant, ils les font patienter avant d’être accueillis par les notables.
Des manguiers, des neemiers et plusieurs autres arbres offrent une allure agréable. Un bâtiment en ruine attire l’attention dans cette demeure. « C’est l’ancien palais. Maurice Yaméogo (ndlr. Premier président du Burkina Faso, ex Haute Volta) Félix Houphouët Boigny (ndlr. ancien président de la Côte d’Ivoire) ont dormi ici », informe l’un des notables pour montrer la valeur historique de ce bâtiment. Avant de s’adresser au chef, ce dernier rappelle les bonnes attitudes dans une cour royale.
« Quand vous rendez visite au chef, il faut toujours apporter quelque chose. C’est symbolique, nous explique l’un des chefs, si vous ne le faites pas, c’est comme si vous étiez venus exprimer une colère envers le chef ». La leçon est retenue. Des noix de colas sont rapidement préparées à offrir comme présent au chef.
Le respect des invités
Le chef de Lallé, accueille ses invités sur un grand hangar en tôles à l’entrée de sa demeure. Le fauteuil du chef donne dos aux visiteurs en attente. Pendant que nous patientons, une jeune adolescente apparait, les tresses décorées de cauris, un pagne faso danfani attaché autour des reins, un tissu léger autour de la poitrine, une calebasse en main. Elle s’accroupit propose du « zoom koom », une boisson locale à base de petit mil. C’est l’eau de bienvenue. Les invités à tour de rôle boivent dans la calebasse. La jeune fille récupère la calebasse et retourne comme elle est venue.
Puis, soudainement, au moment où l’on s’y attendait le moins, alors que les notables sont en train d’entretenir les invités, le chef apparait vêtu d’un complet traditionnel en bleu avec des rayures noire et violette. Il porte un bonnet multicolores à dominante rouge. Trois jeunes serviteurs habillés de boubous bleus l’accompagnent, dont l’un, un jeune garçon ouvre la voie. Un parapluie est maintenu au-dessus de la tête. Son visage brille. Sa démarche est imposante.
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Dès qu’il entre sous le hangar, le fauteuil royal est retourné. Le chef prend place. Trois serviteurs s’asseyent à terre, encadrant le chef. « Vous avez demandé à voir le chef. Le chef est là. Mais nous ne vous connaissons pas. Qui êtes-vous ? », interroge l’un des sages. A tour de rôle, l’équipe se présente et décline l’objet de sa visite. Un vieil homme, assis à terre, plié sur lui-même reprend les propos au chef qui répond en remuant de la tête.
Naba Djiguemdé, le roi lion en langue mooré est intronisé le 29 juin 2021 par le Mogha Naba Baongho, choisi parmi plusieurs prétendants. Il succède alors à son père Naba Koanga.
Promouvoir la cohésion sociale
Depuis son intronisation, le jeune chef s’est imposé une feuille de route : assurer la cohésion sociale dans son canton qui s’étend sur quatre provinces. « Mes défis sont énormes. Je dois travailler à renforcer la cohésion entre hommes et femmes et travailler à ce qu’il y ait l’harmonie dans le canton, travailler à ce que la jeunesse et ma génération n’oublient pas la culture de nos ancêtres », détaille Naba Djiguemdé.
Cette préoccupation s’est imposée à lui, compte tenu du contexte sécuritaire au Burkina Faso. Sa mission, il dit la mener avec le concours des 85 chefs coutumiers qui composent le canton, ses notables et ses conseillers. « Mais, c’est lui qui dirige et nous ne faisons que suivre », fait savoir le Godin Naba, l’un de ses ministres. La jeunesse du chef pourrait laisser interrogateur des personnes non averties. Mais ici, rien d’étonnant. L’âge du chef ne compte pas.
« Le chef n’a pas d’âge une fois qu’il est intronisé… nos grands parents nous ont dit qu’il y a des chefs qu’on a intronisé à sept ans. S’il est nommé chef, il est chef pour tout le monde. On le respect comme une personne qui a 100 ans même s’il a deux ans », martèle Godin Naba.
Pour réussir sa mission, Naba Djiguemdé a changé ses habitudes. « Il va de soi que mon comportement change parce que j’ai été intronisé avec beaucoup de responsabilités. Je dois faire respecter les règles et me faire respecter au sein du canton et même au-delà », mesure le chef. Toujours étudiant à l’Université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou, le chef de Lallé compte se servir de cet avantage pour être le pont entre les traditions locales et celles modernes.
Le chef de Lallé est toutefois peu bavard sur ce sujet. Il préfère s’appesantir sur le respect des traditions léguées par ses ancêtres. Avec le temps, ses amis d’enfance et ses camarades étudiants se sont adaptés à son nouveau statut. Le respect s’est renforcé : « Mes amis m’ont toujours respecté sauf qu’ils me vouvoient maintenant vu que mes habitudes sont restreintes, mes camarades tiennent compte de mon statut en limitant les anciennes habitudes ».
Du fait de la modernité, le canton de Lallé semble avoir perdu de son lustre passé. Naba Djiguemdé promet redonner au « canton son identité ».
Boukari OUEDRAOGO
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