La dépendance au téléphone portable est une réalité chez de nombreux enfants au Burkina Faso. Dans de nombreuses familles, les parents préfèrent calmer les enfants en leur donnant leurs téléphones portables. Cependant, cette pratique entraîne une dépendance chez les enfants, dont il est parfois difficile de se débarrasser.
Dans la cour familiale au quartier Hamdalaye, Rachid, la vingtaine, est plongé dans ses activités créatives quand soudain, les pleurs perçants de son neveu interrompent son élan. Agacé, il tente de comprendre la cause de cette détresse.
Sans surprise, il découvre le coupable : une coupure de courant a mis le wifi hors service. « Il n’a plus de connexion, c’est pour cela qu’il pleure », soupire Rachid, se tournant vers le petit, assis au sol, les larmes coulant sur ses joues. Il s’accroupit à côté de lui et essaie de le calmer : « Ne t’inquiète pas, le courant va revenir ». Mais, l’enfant reste inconsolable, désespéré de ne plus pouvoir regarder ses vidéos préférées sur YouTube.
Pour l’apaiser, Rachid sort son téléphone portable et partage alors sa connexion mobile. Les yeux d’Abdoul s’illuminent. Il peut reprendre sa place devant son écran de téléphone. Cependant, les données s’épuisent rapidement. Les pleurs reprennent. « Mon neveu est accro au téléphone portable. Il préfère passer des heures devant le téléphone plutôt que de jouer avec ses amis. Chaque fois qu’il est privé de son téléphone, il pique une crise », explique Rachid d’un ton impuissant. Ses tentatives pour le calmer sont vaines. Il continue alors sa tâche, habitué apparemment par ces scènes.
L’ampleur de l’addiction aux écrans
Le cas de Abdoul n’est qu’un exemple d’addiction au téléphone portable parmi tant d’autres. Dans son restaurant du quartier Wemtenga, Maimouna Sanou vient de finir de servir ses clients. Sur une étagère est déposé son téléphone à touches, dépourvu d’accès aux réseaux sociaux. Elle a opté pour ce type de téléphone pour éviter de devenir accro. Depuis qu’elle a constaté l’attachement de son fils aux téléphones, Dame Sanou a fait ce choix. Cependant, elle déplore que les adolescentes soient également accros.
La plupart des jeunes filles qui l’aident dans son kiosque sont constamment sur leurs téléphones. « Souvent, les clients leur parlent, mais elles ne les écoutent pas, ce qui finit par les énerver », explique-t-elle. Pour cela, elle a dû se séparer de certaines d’entre elles. En exemple, sa nièce qui travaille avec elle comme aide-ménagère est incapable de se détacher du téléphone. Pour appuyer ses explications, dame Sanou raconte une anecdote : « J’ai une nièce qui s’est brûlée à cause du téléphone. Elle manipulait son appareil et a laissé tomber le thermostat. En voulant mettre de l’eau, elle ne faisait pas attention ».
L’addiction au téléphone portable est un phénomène croissant, selon Boukary Paamtaba, psychologue de l’enfance. Il aide certains parents à désintoxiquer leurs enfants. Mariam Tapsoba, mère de cinq enfants, a fait appel à lui pour son fils de 7 ans, Maguib. Maguib ne peut plus se détacher de son téléphone portable.
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Mariam a rendu son fils accro au téléphone portable sans s’en rendre compte. « Avant, pour calmer mon enfant et pouvoir travailler, je lui donnais le téléphone », explique-t-elle. Une manière pour elle d’avoir la paix. Aujourd’hui, elle le regrette. Car, lorsque son fils s’est habitué à l’utilisation de son téléphone, il est devenu dépendant.
Mariam ne pouvait plus décrocher un appel devant lui sans qu’il ne fasse une crise. « Un jour, je voulais profiter de mon wifi. Lui aussi voulait le téléphone. Quand j’ai voulu lui dire de laisser, il s’est énervé et a tiré le téléphone, qui est tombé », raconte-t-elle. Depuis ce jour, Mariam s’est rendu compte de son erreur. Elle décide donc d’aider son enfant à se détacher du téléphone.
Dans son centre de prise en charge d’enfants situé au quartier Wemtenga de Ouagadougou, des cris d’enfants mêlés aux éclats de rire et aussi aux pleurs. Arrivé au pas de course, Boukary Pamtaba jette un coup d’œil rapide et continu. Responsable de centre, il suit plusieurs enfants dont certains sont accros au téléphone portable.
Les parents remplacés par le téléphone
Sa méthode de désintoxication est simple. Il apprend aux enfants à pratiquer des jeux et fabriquer leurs propres jouets. Selon lui, les parents ne mesurent pas encore l’impact des écrans de façon générale. « Aujourd’hui, avec les écrans à la maison, un enfant de 18 mois ne se rend même pas compte de l’absence de sa maman, parce qu’elle est remplacée par son téléphone », explique Pamtaba.
A cet âge, il insiste sur le fait qu’un enfant doit apprendre à interagir avec les autres. Il regrette donc que certains enfants trop exposés au téléphone aient tendance à rester dans leur bulle. « Il n’arrive pas à jouer avec les autres. Même quand d’autres personnes arrivent, il a tendance à se replier sur lui-même », regrette-t-il. Cela peut créer un « autisme virtuel », prévient Pamtaba.
Sans avoir consulté de psychologue, Rasmané Ouédraogo, résident également à Wemtenga, a pris des initiatives très tôt pour prévenir cette dépendance. « J’ai interdit à ma fille d’avoir un téléphone jusqu’à l’âge de 18 ans, juste après son bac », explique-t-il, ayant mesuré très tôt le problème. Cette démarche a permis à l’enfant d’être moins accros.
Pour éviter l’addiction au téléphone portable, Boukary Pamtaba préconise des activités de socialisation. « L’enfant doit apprendre à créer, à initier des jeux avec son environnement, la terre, les bouteilles d’eau », estime-t-il. D’ailleurs, il préconise la méthode « zéro écran » pour l’enfant, au moins jusqu’à l’âge de cinq ans.
Boukari Ouédraogo