C’est une voix singulière qui berce les mélomanes depuis 47 ans. Une identité musicale remarquable qui se réinvente. Un style musical aimé aussi bien par les jeunes que les personnes âgées. Zougnazagmda, virtuose de la musique traditionnelle mooré est une star, reconnue pour sa capacité hors norme d’improvisation et aussi craint pour ses pouvoirs mystiques dont il ne cache pas. Avec 72 albums à son actif, sa carrière est aussi jalonnée de folles rumeurs.
Nous étions prévenus. L’artiste Issaka Ouédraogo a un calendrier toujours chargé. Après plusieurs tentatives infructueuses, nous obtenons finalement un rendez-vous. Il est fixé un vendredi à 15h. « Pas de retard » avait insisté notre intermédiaire.
Avant l’heure indiquée, nous sommes là, à Karpala, dans la partie Sud-ouest de la ville de Ouagadougou. Dans une vaste cour, une dizaine de personnes suivent la télé sous un hangar. « Ce sont des gens qui viennent demander de l’aide ou qui viennent pour se soigner », nous souffle un jeune homme, visiblement de la cour. Nous prenons place, en attendant d’être appelés.
Après une trentaine de minutes, alors que l’attente devenait longue, c’est un homme à l’allure imposante, serein et souriant qui sort d’un salon. Il est accompagné par trois autres personnes.
Dans une tenue traditionnelle, balafre sur sa joue droite et les cheveux bien dressés, il serre individuellement les mains de tous et garde sa main gauche dans la poche. « Comment allez-vous ?», lance-t-il avec le sourire avant de donner l’ordre de passage pour le rencontrer. La cour toujours pleine. C’est le quotidien chez Issaka Ouédraogo alias Zougnazagmda.
Artiste dans l’âme
A notre tour, nous sommes reçus et installés au salon. « Un verre de thé ? » nous propose l’artiste. « Non merci » rétorquons-nous. Après les salutations d’usage, l’homme de 62 ans nous explique que c’est aux côtés de ses pairs et de sa mère elle-même chanteuse, qu’il a appris à chanter à 12 ans.
« Quand il y avait des évènements tels que les nabasga (une fête culturelle célébrée chaque année par les chefs coutumiers à Zorgho), les baptêmes, mariages, etc., je partais chanter gratuitement parce que c’est quelque que j’ai toujours aimé », se rappelle-t-il.
En ce temps, l’homme n’imaginait pas qu’il se forgeait une longue et riche carrière. Son surnom, « Zougnazagmda ka tukd tanga » comme pour dire que « quelle que soit ta puissance, il ne faut jamais soulever ce qui est au dessus de ta force au risque de t’écrouler » est pour lui, une invite à l’humilité même quand on est sûr de son talent.
De 1982 à 1986, Zougnazagmda est membre la troupe du Larlé Naaba Abga avant de rallier la troupe song-taba de Nonsin pendant deux ans. En 1991, Zougnazagmda lance sa « Troupe Pegdwendé ».
Sa spécialité, la musique traditionnelle pour valoriser la culture burkinabè avec une particularité sur les histoires des peuples. « Il y a beaucoup à raconter, à faire connaître et surtout ce qui est en rapport avec l’histoire, notre passé. Voilà pourquoi j’ai choisi de raconter l’histoire pour mettre en valeur notre culture » relève l’artiste.
Du succès à la gloire
Zougnazagmda ne manque jamais d’inspiration. À chaque concert sa créativité, son style et ses mots. C’est ce qui lui a valu l’appellation de « l’artiste de tous les temps ». En plus de quatre décennies de carrière, il a produit 72 albums qui ont tous connu du succès. « J’ai fait fortune dans la musique et partout où je passe, quelle que soit la localité, les gens me connaissent », raconte fièrement l’artiste.
Mais il a fallu se battre pour imposer son art, insiste-t-il, en prenant l’exemple de ses droits au Burkina burkinabè des droits d’auteurs qui s’élevaient à 1 750 F CFA au début de sa carrière pour évoluer entre temps à 3 millions.
Des centaines de concert, Zougnazagmda en a donné. Mais un lui reste inoubliable. « L’Etat nous avait invité pour une prestation en octobre 1998 au consulat du Burkina Faso en Côte et j’ai été révélé au monde entier également grâce à ce concert. A la fin de la prestation, le public m’a envahi et je ne pouvais même plus partir jusqu’à ce qu’on me fasse sortir par une porte carrément derrière le consulat » se remémore-t-il, les yeux brillant de bonheur.
Les revers de la célébrité
Des années de gloire, mais aussi des moments à faire face à des rumeurs et allégations de nature à ternir son image. Ce qui lui revient rapidement en tête, c’est la mort de son compagnon Fanrancé, un chansonnier traditionnel. « Lorsque mon ami est parti, j’ai tout entendu. Les gens disent partout que c’est moi qui l’ai tué parce que nous étions des concurrents. Pourtant, c’est un garçon que j’ai fait venir du village, je l’ai hébergé, je l’ai nourri » se défend la star.
Les détracteurs de l’artiste vont encore plus loin et l’accusent de blanchiment de capitaux. Zougnazagmda est aussi accusé de trafic d’enfants et d’avoir été le parrain de braqueurs de route. « Ça a été un coup dure pour moi mais je vis avec chaque jour que Dieu fait », déplore l’artiste, en ajoutant que le temps s’est chargé de le blanchir de toutes ces accusations infondées selon lui.
Wackman revendiqué
Charifa Kaboré, étudiante, connait l’artiste depuis son bas âge. Native de Zorgho, elle dit aimer les chansons de l’artiste car au-delà de la musique, c’est chaque titre est un cours d’histoire. « Je l’aime parce qu’il raconte l’histoire des peuples et il donne des conseils dans ses chansons », apprécie-t-elle.
Adulé, l’artiste est aussi craint. On lui attribue des pouvoirs mystiques. Inconditionnel de la star, Moussa Kouanda, un commerçant se refuse pourtant à parler de son artiste préféré, de peur de placer un mot de travers. « Je ne dirai rien car de là où il est même, il peut savoir qu’on parle de lui et peut te faire quelque à distance », se justifie-t-il en s’éloignant de notre micro. Boubacar Kagoné lui également dit avoir connu l’artiste, pour sa musique mais aussi et surtout pour sa réputation d’être un wacké (quelqu’un qui possède des pouvoirs surnaturels)
L’intéressé lui, ne se débine pas. « Depuis que je suis née et que j’ai toujours misé sur le wack, je n’ai jamais entrepris quelque chose qui a échoué », lâche le responsable de la troupe Relwendé. Puis, il s’empresse de rassurer qu’il fait recours au wack pour se protéger. Rien de plus. « Le monde d’aujourd’hui est méchant. Je fais confiance au wack et à nos coutumes. Tuer des gens, ce n’est pas mon travail parce que le wack qui tue, moi je n’en n’ai pas » rétablit Zougnazagmda.
Plusieurs fois titré au Burkina et dans la sous région, Zougnazagmda regrette cependant que la musique traditionnelle ne soit pas assez valorisée au Burkina Faso.
Faïshal Ouédraogo