La lentille de terre est méconnue et pire, c’est une céréale en voie de disparition. Des stéréotypes entourent la culture et la consommation de ce cousin du haricot. C’est cela qui alimente cette menace.
Edmond Thiombiano, la trentaine à peine, ne connaît pas la lentille de terre. Albert Tiendrébéogo, 33 ans, non plus ne connaît pas cette légumineuse. Par contre, Eric Ouédraogo et Judicael Sandwidi la connaissent bien et l’ont même déjà consommée. «Je connais la lentille de terre, particulièrement la rouge. J’ai mangé ça plusieurs fois », dit-il. Mais il s’empresse de préciser que c’est quand il était plus jeune. « (…) actuellement on n’en trouve plus », se désole-t-il, l’air nostalgique.
Sorombia, douforo ou dougouma sôssô en dioula, diengmtingré en mooré, zié en san… La lentille de terre est globalement une légumineuse méconnue, quel que soit le nom qu’on lui donne. Et cela, du fait qu’elle est peu cultivée.
Dr Saidou Bonkoungou est chercheur à l’Institut de l’environnement et de recherche agricole (INERA). Rencontré à la 15e Foire aux semences de variétés améliorées de plantes, il s’intéresse à la lentille de terre. Il explique que la tendance à la disparition peut être due aux nombreux préjugés qui entourent la lentille de terre.
Les préjugés autour de la lentille de terre
Le chercheur rapporte que selon la tradition, il se dit qu’une année de bonne récolte de la lentille de terre est suivie de beaucoup de morts. Il estime aussi que sa couleur noire pose problème. Car la couleur noire renvoie en général à la mort. On dit aussi que quand une femme décède, c’est la lentille de terre qu’on prépare pour ses enfants.
Aussi, sur la tombe, on met des graines dans une calebasse et on casse. A l’en croire, ce sont ces éléments liés à la mort qui font que les gens fuient la légumineuse. Mais en même temps, c’est pour ces choses que la lentille de terre est maintenue. Tant qu’il y a la tradition, elle est gardée. Sauf que comme la tradition est de moins en moins pratiquée, cela fait aussi que la lentille de terre a tendance à disparaître.
Dans l’imaginaire collectif de certaines sociétés, la recette de la vente de la lentille de terre, que l’on a cultivée, utilisée comme fonds donne un commerce prospère, selon des témoignages de cultivateurs au chercheur.
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Mais plus concrètement, les productrices de la lentille de terre, selon les confidences de Dr Bonkoungou, trouvent sa culture fatigante pour une moisson maigre.
Et pourtant, la lentille de terre, selon l’ingénieur agronome, est une plante qui tient dans des conditions climatiques difficiles. Il explique que 600 mm3 d’eau suffisent pour cultiver la lentille de terre, mais à condition que ça dure pendant quatre ou cinq mois. Et à partir de 110 jours, on peut récolter la lentille de terre. Il conseille le semis pendant le mois de juin ou juillet. Le chercheur assure que même sans intrant particulier, on peut récolter environ 500 kg de lentille de terre à l’hectare.
De fortes ressemblances avec le niébé
A l’observation, la lentille de terre est différente de la lentille que les gens connaissent d’une manière générale. Dr Bonkoungou précise que « c’est une culture originaire de l’Afrique de l’ouest ». Dans la description, « c’est comme l’arachide ou les pois de terre. Les gousses qui sont les fruits sont produites dans le sol. Il y a plusieurs couleurs au niveau des variétés. Les couleurs présentes au Burkina Faso sont la noire, et la couleur blanche à œil noir. Cette dernière couleur ressemble au niébé que vous appelez haricot », explique affirme Saidou. Il existe en tout six couleurs de lentille de terre.
Il fut un moment où la lentille de terre était cultivée à travers le Burkina Faso. Mais elle se retrouve aujourd’hui, en 2024, dans trois régions administratives ; Boucle du Mouhoun, Hauts-Bassins et Cascades.
La lentille de terre est riche en protéine, glucide, mais elle est très pauvre en matières grasses. Selon les explications de l’ingénieur, pour sa consommation, il faut la tremper pendant 12 ou 24h pour faciliter la cuisson et ça se prépare comme le niébé communément appelé haricot. La lentille peut être utilisée pour faire des beignets comme avec le niébé ou même le to ou du couscous.
Saidou avance que le prix du kilogramme est d’environ 1750 F CFA sur le marché au Burkina Faso. Par contre au Bénin par exemple, quand ça manque, le kg peut monter à 3500 F CFA sur le marché.
Boureima Dembélé