Au Burkina Faso, c’est la tristesse chez les artisans après le report annoncé de la 16e édition du Salon international de l’artisanat de Ouagadougou, une semaine avant l’évènement. De Kaya à Tchériba en passant par Koudougou, les artisans, endettés pour la plupart, sont sous le choc.
Kaya. 105 km de Ouagadougou. Maison de l’artisan. Assane Ouédraogo est affalé sur une natte tel un boxeur mis KO au dernier round d’un combat alors qu’il menait aux points. Difficilement, il se relève, prend une chaise et s’installe derrière une machine à coudre, son poste de travail habituel. « Le report du SIAO…», soupire-t-il avant d’afficher un sourire narquois, comme pour se moquer de lui-même.
Comme bon nombre d’artisans burkinabè, Assane Ouédraogo, spécialiste dans la maroquinerie apprend le report de la 16e édition du Salon international de l’artisanat de Ouagadougou (SIAO), initialement prévu du 28 au 16 novembre 2022. Cette vitrine de l’artisanat africain est reportée juste une semaine avant son ouverture.
L’annonce de ce report à fait l’effet d’un tremblement de terre. Assane Ouédraogo en est malade. « Je vous assure que nos nerfs se sont refroidis. C’est pour cela même que vous m’avez trouvé coucher parce que je ne sais plus quoi faire. J’ai mal à la tête. Vous voyez mes œuvres sont posées, des ceintures, des sacs remplis de marchandises », explique cet artisan, habitué de l’une des foires artisanales les plus populaires d’Afrique.
« On a pris beaucoup de crédits»
Assane Ouédraogo avait pourtant, presque tout mis en place pour cette édition du SIAO. Cette fois, il entendait être au rendez-vous : exposer ses nouvelles créations, en vendre mais surtout nouer des contacts avec des acheteurs internationaux. Pour cela, il a contracté des dettes. Environs un million de francs CFA, précise-t-il. « Si nous n’arrivons pas à écouler tous ces produits, je vous assure que ça va créer énormément de problèmes parce qu’on a pris beaucoup de crédits », lâche-t-il, tout abattu.
La province du Sanmatenga est réputée pour sa maroquinerie. La ville s’est dotée d’un village artisanal. Il sert aussi de cadre de travail et d’exposition pour les artisans de la localité. Dans l’un des ateliers, Boubakary, Alassane et Gontié sont à la tâche. Il faut trouver du quoi s’occuper pour ne pas perdre al tête. Eux aussi disent avoir contracté des dettes pour participer au SIAO. L’interrogation est la même: «comment rembourser les dettes?»
Au-delà des pertes financiers, les conséquences sont importantes : « C’est beaucoup de perte parce qu’on avait mis toute notre énergie pour aller au SIAO », explique Boubakary qui s’est endetté à hauteur de 2 millions 500 mille francs CFA. Difficile de récupérer les fonds si le SIAO ne se tient pas.
Alassane, les traits tirés, explique, au SIAO l’objectif n’est pas forcément de vendre. « Avec les contacts uniquement, vous pouvez avoir beaucoup d’argent et travailler sur le long terme », assure Gontié. Du fait de l’insécurité qui touche une grande partie du pays, le tourisme a connu un recul et le pouvoir d’achat de la population ne lui permet de s’acheter ces objets d’arts.
Koudougou. 100 km environs de Ouagadougou. Dans son atelier au secteur 5, Ousseni Gandema, bronzier est occupé sur l’une de ses nouvelles créations. Trois apprentis font des finitions sur des statues. Cet habitué du SIAO a produit une nouvelle collection pour être au rendez-vous de ce marché africain de l’artisanat. II a participé à plusieurs foires en Europe. Mais, le SIAO reste son festival chouchou.
Pour ne manquer cette édition reportée d’abord du fait de la Covid-19, Gandema a travaillé sur une nouvelle collection. Comme preuve, il ouvre son magasin dans lequel sont entassés des centaines d’œuvres. « Ce que j’ai investi, ça vaut trois millions parce qu’au SIAO, c’est la qualité qui compte et non la quantité ». Avec ce report, les pertes sont immenses : les frais de transports et de location de chambres ne peuvent plus être remboursés.
« A chaque SIAO, on prépare de nouvelle pièces pour présenter et nouer de nouveaux contacts. Cette année, on avait tout fini. On avait des nouveautés parce que souvent, qua ça s’approche, on part loué des maisons pour pouvoir loger. On ne sait pas comment on va pouvoir écouler ça», affirme avec inquiétude Gandema, rentré d’une exposition de Dreux en France. Toutefois, avant de se remettre au travail, Gandema garde un brin d’espoir: « Comme c’est un report et non une annulation, on espère qu’un jour, ça va se tenir ».
A vingt minutes de là, dans ce même quartier, atelier de couture de Madeleine Kaboré, couturière et formatrice dans la cité dit du cavalier rouge. C’est aussi la mine serrée que dame fait visiter son magasin. Quelques sacs de tissus locaux faso danfani sont posés, collés au mur dans l’atelier qui sert aussi de magasin. La dame tourne, sur elle-même avant de se rendre compte qu’elle souhaitait montrer son stock de pagnes. Elle détache les sacs et sort un à un les différents motifs de pagne qu’elle avait préparé pour le SIAO.
« Dès que j’ai entendu la date du SIAO, je me suis mise à me préparer. Donc, l’essentiel des produits sont partis. Ce qui est là, je comptais l’amener avec moi à Ouaga », fait savoir dame Kaboré. Mais, ses plans ont changé et elle ne sait pas où mettre de la tête : « depuis 2000 que je participe au SIAO, je n’ai jamais vu ça. Quand je dors, je me demande comment je vais faire pour écouler et tout ce que j’ai mis dans ça ».
Dans l’attente d’une reprogrammation
Tchériba. 175 km de Ouagadougou, 50 km environs de Koudougou. L’onde de choc a également touché ce village qui tire sa réputation de sa tradition de poterie. Au bord de la voie entre Koudougou et Dédougou, des poteries exposées sous le soleil attendent des clients… inexistants.
A l’ombre d’un hangar, des femmes dissertent dans l’espoir qu’un véhicule marque un arrêt. La tristesse et le mécontentement se lisent sur les visages étirés. Plus de courage de se mettre à l’ouvrage explique-t-on.
La nouvelle est tombée comme un coup de massue pour Salimata Démé et les autres potières qui avaient tout mis en place pour rejoindre la capitale. Dans son magasin de stockage, une dizaine de cartons de poteries de tout genre prêts à être envoyés à Ouagadougou. « Nous avons pris des crédits. Maintenant que ça se passe mal qu’est-ce qu’on va dire à nos créanciers ? Certaines ont pris 300 mille francs CFA de crédit. J’ai moi-même pris 100 mille francs CFA de crédits pour me préparer ».
Ces femmes espéraient profiter de ce SIAO pour relancer leurs activités impactées par la crise sécuritaire. Elles devront donc attendre. Mais, elles espèrent une reprogrammation de la cérémonie le plus vite possible pour réduire les pertes. En effet, près de 3 mille 500 visiteurs dont des acheteurs professionnels internationaux étaient attendus à la biennale de l’artisanat africain.
Retour à Koudougou. Le président de la Fédération nationale des artisans du Burkina Faso Pierre Yaméogo dit maitre Pierre, l’air joviale, nous accueille dans son atelier de couture situé au centre-ville. Plusieurs vêtements traditionnel en faso danfani, le tissu local en cotonnade attendent d’être convoyés à Ouagadougou.
Ce styliste, également organisateur d’activités culturels, de mode notamment, a du mal à cacher sa déception. L’homme se dit surpris par ce report de dernière minute. « Si on avait été informé à temps, chacun allait approcher ses partenaires pour avoir des reports sur les échéances concernant les prêts ». Mais de son statut d’artisan et de responsable, il a dû mal à trancher.
A écouter: les propos de Pierre Yaméogo
Cependant, il reconnait que cette décision n’a pas été prise de façon unilatérale car étant impliqué dans l’organisation en tant que représentant des artisans burkinabè. « Nous étions en concertation même avec le DG du SIAO quand les documents nous ont trouvé là-bas (…). Comme il s’agit d’une situation sécuritaire, nous avons essayé de comprendre. la sécurité est plus importante que tout », concède-t-il.
Le secrétaire générale du SIAO Fidèle Ilboudo a motivé ce report par l’absence d’un gouvernement suite au Coup d’État du 30 septembre 2022. De Kaya à Koudougou en passant par Tchériba, les artisans espèrent tous que les autorités trouveront une date. Le SIAO, leur SIAO leur manque tant.
Au Burkina Faso, l’artisanat contribue à 25% du produit intérieur brut et occupe près d’un million d’actifs selon l’UNESCO.
Boukari Ouédraogo