A Ouahigouya dans la région du Nord du Burkina Faso, l’insécurité menace l’existence de la filière lait local. Des femmes qui tirent leur principal revenu de la vente du lait ont vu leur pouvoir d’achat baisser alors que les entreprises de transformation fonctionnent au ralenti.
Amateur de lait, Adama Tall a changé ses habitudes alimentaires depuis un certain temps. Jeune éleveur de 35 ans, le lait était son aliment de base depuis son village de Todjam, situé dans la commune de Titao, à 230 km environs de Ouagadougou. Désormais, il se tourne vers les céréales. « Si tu attends le lait aujourd’hui pour manger, c’est que tu ne veux pas manger », explique-t-il.
Pourtant, il y a quelques années, il n’avait pas à s’inquiéter de la production de lait. Il avait même du mal à tout consommer ou encore à écouler toute sa production. Cette époque est désormais loin derrière lui. « On attend le lait quand on a des vaches et des veaux… », murmure-t-il presque comme agacé par la question.
L’insécurité qui sévit dans certaines parties du pays a engendré de nombreux déplacés. Ils sont près de 249 mille personnes déplacées dans cette région selon le Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (CONASUR) à la date du 30 septembre 2022.
Flambée du prix du lait
La population a replié à Ouahigouya avec leurs familles et leurs troupeaux. C’est le cas de Adama, malgré lui. « On ne pouvait pas venir vivre avec des animaux ici en ville. Donc j’ai vendu les quelques têtes qui me restaient pour pouvoir loger ma famille à Ouahigouya », avoue-t-il d’une voix empreinte d’impuissance.
A l’image de ce chef de famille, Aminata Dicko souffre le martyre. Depuis le mois de janvier 2022, elle n’a que le quart de sa production habituelle. Dans l’une des laiteries de la ville, la jeune dame vient de céder sa dernière production. 600 francs CFA pour un demi-litre soit 400 francs CFA le litre. L’air triste, elle raconte ses inquiétudes : « Maintenant je ne gagne plus suffisamment de lait. C’est juste un à deux litres par jour. Et ça aussi, ce n’est pas courant ». Le commerce du lait de vache était pourtant sa principale source de revenu.
L’absence des aires de pâturage ne permet pas non plus la production de lait chez les éleveurs. Plusieurs villages environnants de Ouahigouya sont pris en otage par des groupes armés. « Il est difficile d’avoir accès au point d’eau. La brousse est prise en otage. On ne peut plus nourrir nos vaches », poursuit-elle d’un ton plaintif. Mais que faire ? Elle essaie de se débrouiller pour ne pas « dormir ventre vide ».
« Mais les éleveurs ne fournissent plus de lait »
A Ouahigouya, la dégradation du contexte sécuritaire a affecté les unités de transformation de lait local. Les fermes laitières ne sont plus capables de répondre à la demande croissante de ce produit sur place. Abdrahim Romba, chargé du coaching d’une unité de transformation de lait révèle que plusieurs d’entre elles ont perdu des contrats avec certains partenaires. Jusqu’à la fin de l’année 2021, l’unité qu’il dirige collectait quotidiennement entre 400 à 500 litres chaque jour.
Une telle quantité de lait permettait à la laiterie d’honorer ses engagements avec quelques partenaires. Mais avec le déplacement des populations, la production a chuté. Son unité de production a du mal à satisfaire le centre hospitalier universitaire à qui elle fournit 60 litres de lait par jour selon le contrat. « Malheureusement, la plus grosse quantité de notre lait frais, venait de la zone de Thiou, Barga, Tangaye. Mais les éleveurs de ces villages ne fournissent plus de lait», regrette Abdrahim Romba.
Par conséquent, les emplois des jeunes dans ces unités sont menacés admet Sibé Diallo, gestionnaire dans une mini-laiterie de la place. Pour faire face à la pénurie du lait et préserver les emplois, il a augmenté les prix de ses produits laitiers : « On vendait le demi litre de lait frais à 300 francs CFA. Maintenant, on le vend à 400 F CFA », avoue Sibé Diallo.
La laiterie produit entre 110 et 115 litres de lait par jour. Malgré cela, l’entreprise n’arrive même pas combler les dépenses de la laiterie. Elle menace de mettre la clé sous le paillasson. Plusieurs autres entreprises sont dans la même situation et disent avoir besoin d’aide.
Patrice Kambou