Taper le sable ou consulter le sable. Des expressions qui cachent un savoir-faire séculaire dont les Gourmancéba, peuple de l’Est du Burkina, ont le secret. La géomancie loin d’être de la sorcellerie est un art divinatoire qui repose sur les déductions. Selon certains praticiens, la géomancie se fonde sur certains principes mathématiques.
Sous un arbre au milieu de la cour familiale située à Bartiégou, un quartier de la ville de Fada N’Gourma, Adamou Dadjoari est assis sur un sac de ciment. Devant lui, un monticule de sable fin, qu’il caresse en éparpillant de la paume de sa main. L’homme a la soixantaine et s’apprête à consulter le sable. « Je suis tapeur de sable depuis plus de 30 ans. Je n’ai vraiment pas appris. C’est une tradition chez nous. Mon grand-père et mon père ont tous joué le sable » dit-il, en mâchant frénétiquement le cola.
Avant de commencer une séance de géomancie, comme toujours, il faut vérifier que le sable est disposé à ‘’parler’’. Au bout de ses doigts, notamment avec le majeur et l’index, il trace des traits dans le sable de gauche à droite. Pour un non initié, ce sont des traits, mais pour Adamou, ce sont des codes, des étoiles, dira-t-il vaguement. « Pour consulter le sable, chaque matin, il faut d’abord demander au sable si c’est possible de lui parler aujourd’hui. S’il dit oui, tu peux taper, dans le cas contraire, il faut arrêter. S’il te dit non et tu continues à taper, tu es un menteur », précise le géomancien.
Pour toutes les bourses
Ce matin-là, le jeune Issaka, la trentaine traverse la vaste cour. Après les salutations d’usage il s’installe jambe croisée à côté de Adamou et lui marmonne des paroles. Il dépose une pièce de 500 F CFA, touche une partie du sable étalée comme pour établir une connexion. Adamou également touche cette partie du sable et se lance dans la consultation.
Après quelques minutes marquées par des silences et des hochements de tête, les deux hommes échangent encore. « Tu cherches un coq et l’eau blanche (Ndlr. mélange de farine de petit mil et d’eau), que tu offriras en sacrifice aux fétiches de la famille de ta maman, un vendredi. Tu verras que tout ira bien », prescrit le géomancien au jeune Issaka. Il n’y a pas de montant fixe pour bénéficier d’une consultation chez le géomancien Adamou. Chacun donne ce qu’il a, note-t-il, avant d’ajouter qu’il ne le fait pas pour l’argent, mais pour soulager et perpétuer une tradition.
L’homme consulte pour tout le monde, et pour n’importe quelle situation : santé, emploi, famille, déblocage, affaires, voyages, protection… De temps en temps, notre entretien est interrompu par un appel téléphonique. Même à distance, dans d’autres villes, ou ailleurs, des personnes le contactent pour qu’ils ‘’regardent’’ pour elles.
« Une canadienne est venue ici. Quand elle a touché le sable et que j’ai commencé à consulter, je lui ai dit qu’elle ne connaissait pas sa mère. Elle a dit oui. Elle a pleuré ici devant moi. Alors je lui ai dit que si elle retourne au Canada dans l’intervalle de 15 jours, elle retrouvera sa mère. Effectivement quand elle est repartie, le 14e jour, elle a appelé pour dire qu’elle a vu sa mère », nous raconte Adamou pour dire que le sable qu’il consulte ne ment pas.
De bons mathématiciens ?
Il faut être un initié pour être un bon géomancien. Mais tout le monde ne peut le devenir, précise Adamou pour qui, il faut avoir certaines prédispositions. « Ce sont des mathématiques. Si tu ne connais pas les calculs, il est difficile de maîtriser la géomancie. Si tu n’es pas intelligent, tu ne verras rien », clame-t-il
Dans son ouvrage intitulé « Recherche sur les principes mathématiques de la géomancie : Les Gulmancéba, mathématiciens ou sorciers ? » paru en 2020, le professeur Taladidia THIOMBIANO soutient que la géomancie a bel et bien des fondements mathématiques. «Je me suis fondé exclusivement sur les principes mathématiques de la géomancie. Elle commence par la théorie des probabilités et ensuite, intervient le calcul vectoriel, le calcul matriciel et les permutations. La géomancie est sur la base 2, composée de 0 et 1. C’est un système binaire. Ce n’est pas de la sorcellerie, c’est une science », explique le Professeur d’université à la retraite dans son ouvrage.
Tiga Cheick Sawadogo