L’éducation sexuelle est un sujet complexe et souvent tabou dans de nombreuses communautés au Burkina Faso. Alors qu’à partir de l’adolescence, certains jeunes ont besoin d’être orientés, ils sont laissés à eux-mêmes. Leur éducation sexuelle se passe alors auprès des amis ou à travers les réseaux sociaux.
A l’Université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou, derrière un amphithéâtre, un groupe de cinq étudiants discute vivement, assis sur un banc métallique, des cahiers en main. Ils attendent de rejoindre le restaurant universitaire. Lorsque le sujet sur l’éducation sexuelle des jeunes est introduit, les échanges deviennent plus passionnés comme s’ils attendaient cette occasion pour se libérer.
Tous sont unanimes : l’éducation sexuelle en famille est un sujet tabou au Burkina Faso. « Jamais, je n’oserai parler de sexualité en famille (…) je ne vais même pas terminer que je vais recevoir une gifle », explique Francis Nikièma, étudiant en troisième année d’études anglophones. A 26 ans, Francis n’a jamais pu aborder ce sujet avec ses parents, malgré ses tentatives. Un soir, après les cours, encore écolier, il se souvient de ses premières amourettes à l’école primaire en Côte d’Ivoire.
« Il y avait une fille dans ma classe que j’aimais beaucoup. J’avais mon premier portable Androïd avec une photo d’elle. Je l’ai montrée à ma mère. Mais elle m’a dit que, en tant que fils de pauvre, je ne devais même pas penser à ce sujet », explique Francis. Alors, depuis ce jour, le silence est resté la seule conversation entre lui et sa maman sur un tel sujet. Il a décidé de tout cacher à ses parents « jusqu’au jour où ma mère s’est demandé si j’étais vraiment un garçon », raconte-t-il en riant mais avec une pointe d’amertume.
Les premières règles en public
Cet exemple encourage Mariam Ouédraogo, jeune fille à l’air timide, à partager une expérience. Dans la famille à Péni, commune de l’ouest du Burkina Faso, l’éducation sexuelle est également un sujet tabou en famille. La jeune étudiante a souvent ressenti l’envie de parler de ses histoires d’amour avec sa mère. Elle n’en a jamais eu l’opportunité. Une expérience traumatisante a, d’ailleurs, marqué son adolescence.
En classe de troisième, alors qu’elle était dans la cour de récréation, elle a senti un liquide chaud et rouge coulé entre le long de ses jambes. Prise de panique, elle alerta ses camarades : « J’ai crié « tout le monde, venez voir, du sang coule, je vais mourir ! » ».
Aussitôt, ses amis l’entourèrent. Au lieu du soutien qu’elle attendait, ils se moquèrent d’elle. « Je ne savais pas que c’était des menstrues parce qu’on ne m’en avait jamais parlé », se souvient-elle. Elle se rappelle de cette scène comme une honte. Avec un regard encore marqué par l’humiliation, elle ajoute : « Si on m’avait prévenue que cela arriverait un jour, j’aurais évité de m’humilier devant mes camarades ».
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L’air compatissant, sa voisine Safoura Bama, 25 ans, partage une expérience similaire. Elle n’a parlé qu’une seule fois de ce sujet avec sa mère, en classe de cinquième lorsqu’elle a eu ses premières règles. « Quand je suis rentrée à la maison, ma maman m’a dit : « Si un homme te touche, tu peux tomber enceinte. » C’était la première et la dernière fois que nous avons abordé la sexualité », raconte-t-elle. Depuis lors, elle a dû apprendre seule et à l’aide d’Internet.
Ce n’est pas une question de filles uniquement. Comme pour rassurer ces deux camarades que les garçons vivent des expériences pareilles, il donne un exemple tiré de son vécu. Bruno se souvient de sa panique en découvrant les premiers poils sous ses aisselles. Il s’est tourné vers son père, mais la réponse a été décevante : « On m’a dit que je découvrirai avec le temps ». Il a dû se débrouiller.
Bruno se dit chanceux de n’avoir jamais eu de problèmes liés à la sexualité comme les chagrins d’amour, les infections sexuellement transmissibles ou les grossesses non désirées. Beaucoup de ses camarades, filles comme garçons, ont eu moins de chance.
Face à l’impossibilité de parler de ces sujets avec leurs parents, ces jeunes se confient à leurs amis ou se tournent vers les réseaux sociaux. Mariam raconte ses chagrins d’amour uniquement à ses amies. « Si je dis à ma mère que j’ai un petit ami, elle pensera que je vais à l’école pour être draguée par des garçons ou pour aller chez mon petit copain », explique-t-elle tristement.
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Fatouma Gué, originaire d’un petit village de la province du Poni, acquiesce de la tête avant de faire un constat. Il y a une différence d’ouverture d’esprit entre son village et Ouagadougou, où elle vit depuis quatre ans. « Si tu oses dire à tes parents que tu fréquentes un garçon, ils te diront que ce n’est pas pour ça que tu es venue à Ouagadougou. Ils parleront tellement que tu n’auras plus envie d’aborder le sujet », ajoute-t-elle. Alors, elle prend du plaisir à lire des histoires d’amour, de vie couple partagées sur les réseaux sociaux. « Je me précipite sur les commentaires pour voir ce que les gens disent concernant certains problèmes évoqués », confesse Gué.
Au quartier Wemtenga, nous rencontrons Benjamin Kafando, étudiant en économie à l’Université Thomas Sankara de Ouagadougou. Lorsqu’il est interrogé sur le sujet, son ami qui attendait s’éclipse comme si nous manquions de pudeur. Benjamin admet que le sujet est tabou dans les familles.
Cependant, il parvient à en discuter avec sa mère. « Chez nous les Mossi, c’est vraiment tabou. Mais avec ma maman, on a déjà eu des conversations sur comment se comporter avec les filles et choisir un partenaire. Avec les pères, c’est vraiment bizarre », dit-il.
Qu’en pensent les parents ? Mariam Tapsoba, du quartier Zogona de Ouagadougou, avoue éprouver de la honte à aborder ce sujet avec ses enfants. « Nos parents n’ont jamais parlé de ça avec nous, et nous non plus avec nos enfants », admet-elle, le regard fuyant. Elle fait confiance à l’école pour assurer l’éducation sexuelle de ses enfants.
Une association pour sensibiliser
Dans ce contexte où les jeunes sont laissés à eux-mêmes, l’Association Burkinabè pour le Bien-être Familial (ABBEF) s’investit dans l’éducation sexuelle. De nombreux jeunes y vont pour obtenir des conseils et un suivi. Simon Yaméogo, chargé de la gouvernance à l’ABBEF, est conscient du manque de communication sur la santé sexuelle et reproductive en famille.
Son association mène des séances de sensibilisation auprès des enfants et des parents, espérant faire évoluer les mentalités. « Certains parents pensent que l’école et les réseaux sociaux suffisent, mais l’éducation sexuelle doit commencer en famille », insiste-t-il.
Boukari Ouédraogo