A Fada N’Gourma, dans la région de l’Est, l’école de Potiamanga, petit village à la sortie est de la ville, est désormais dans l’enceinte du marché à bétail. C’était la solution après le déguerpissement du village à cause de l’insécurité. Les conditions peu commodes pour l’apprentissage n’entament pas la détermination des élèves et enseignants à briser les chaînes de l’ignorance.
Fada se réveille d’une nuit avec des prémices de pluie. Le temps est clément en cette matinée. Au marché à bétail situé aux abords de la route nationale N°4, l’ambiance n’est pas au brouhaha habituel. Pas de bêlement des petits ruminants auquel se mêle le beuglement des bœufs et autres discussions des vendeurs ou acheteurs d’animaux. Ce sont plutôt des élèves qui sont là. Certaines chantent en chœur pendant que d’autres courent partout dans le vaste espace. Scène d’une cour de récréation dans une école ‘’normale’’.
C’est bien là, entre les murs du marché à bétail, dans des abris de fortune qu’est logée l’école primaire de Potiamanga. Sous des hangars normalement réservés aux animaux, l’ambiance est studieuse. C’est le quotidien des enseignants et élèves depuis maintenant sept mois. Quand le village a été obligé de déguerpir à cause des attaques des hommes armés, c’est la mort dans l’âme que les élèves ont dû tourner dos à leur école.
A toute épreuve
« Regardez, regardez de vos propres yeux! », insiste un enseignant de l’école, en indiquant de la main ce qui sert de salles de classe aux apprenants. « C’est dans ça on est, on va faire comment ? », se demande-t-il tout en rire, comme pour tourner la situation en dérision.
Les salles de classe sont séparées par des bâches déchirées sur lesquelles on peut apercevoir le logo du HCR. Les portes en pailles sont désaxées par le vent et autres intempéries. Les tables bancs sont en piteux état et les élèves peinent à s’y installer.
Sous les hangars, les élèves ont les pieds dans le sable, la peau exposée au soleil. Ils ne sont pas à l’abri en cas d’une éventuelle pluie. « Même un petit vent peut nous empêcher de travailler », nous souffle un enseignant. A ces difficultés, s’ajoute le manque de manuel. Un seul par classe.
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Au quotidien, les élèves côtoient les odeurs fétides, les bruits de bêtes et d’hommes. Un vacarme difficilement associable au calme et au silence dont ont besoin les élèves pour assimiler les cours.
« Aujourd’hui il n’y a pas marché sinon si c’était jour de marché vous-mêmes vous alliez voir qu’on ne peut pas faire cours. En tout cas chaque jour (de cours) nous, on est là, en attendant d’avoir une autre solution on est là, mais si Dieu veut ça va aller », se contente le directeur de l’école, Dilimbou Kombary.
Le minimum de confort est un luxe dont l’école de Potiamanga ne peut se permettre. Pour autant, le directeur de l’école pousse un ouf de soulagement : l’année scolaire, compromise à cause des bruits de canon, a été sauvée.
Quand les ventres crient famine
Pendant les sept premiers mois de l’année académique, les élèves de cette école ont suivi les cours sans souvent rien dans le ventre. Côtoyant la faim au quotidien, certains d’entre eux ont été contraints d’abandonner.
Deux dons en vivres ont sauvé cette situation. Celui de l’Etat reçu courant le mois d’avril, soit deux mois avant les vacances. Et enfin celui de la Croix rouge Burkinabè intervenus quelques semaines plus tard. Ce sont les mères déplacées de quelques apprenants qui sont à la cuisine.
A côté des salles de classe des enfants, à ciel ouvert, la fumée monte. Les cuisinières de la cantine sont à la tâche. C’est leur contribution pour que leurs enfants n’abandonnent pas les classes. « Nous ne sommes pas allées à l’école, mais nos enfants doivent avoir de meilleures conditions. C’est pour ça que nous sommes là, nous venons préparer pour eux », explique une mère cuisinière. Des propos acquiescés de la tête par les autres femmes.
Au nom des élèves
Sous un des hangars, des élèves de la classe de CP2 sont en pleine séance de correction de leur composition. Les sept apprenants se succèdent au tableau sur instruction de leur maître. « Comme ça quand c’est l’élève même qui se corrige ça va rester, il ne va pas oublier », nous explique l’instituteur.
Malgré des conditions de travail et le nombre réduit de ses élèves, Bourdja Tankoano n’est pas avare dans les efforts. Il dit avoir une approche particulière avec ses élèves qu’il sait traumatiser par les évènements. Fréquemment, il fait des heures supplémentaires, travaille les week-ends quand il ressent le besoin de combler un retard ou renforcer des aspects particuliers de l’apprentissage. « Le niveau est excellent, le niveau est très bien même. Moi je pense que le résultat attendu on devrait l’atteindre », se projette le jeune enseignant pour qui l’optimisme est un stimulant dans cette situation.
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« Les enfants n’ont pas demandé à être ici, si nous, on se décourage qui va aider qui ? », lance-t-il. Cette force mentale sur fond de résilience, c’est aussi du premier responsable de l’établissement qu’il la tire.
Malgré un temps relativement doux, des gouttes de sueur perlent sur le visage fermé de Dilimbou Kombary, le directeur de l’école. Il ne sourit que très peu et ne parle que lorsqu’une question lui est adressée. Il se souvient mélancoliquement de ce qu’était l’école primaire de Potiamanga avant qu’elle ne soit obligée de partir de ses terres.
« L’école de Potiamanga était une école construite qui comptait plus de 300 élèves. Aujourd’hui on cherche même une centaine on ne peut pas avoir », se remémore le directeur, nostalgique, le regard panoramique sur les élèves en classe. Pour lui, le sacerdoce doit trouver tout son sens, surtout dans cette situation. « Nous avons le devoir d’accompagner ceux qui malgré tout continuent de venir », dit-il avec conviction.
C’est à l’unisson que les parents et les enseignants lancent un cri de supplication aux autorités ou toute autre volonté : l’école de Potiamanga doit avoir un meilleur sort pour l’année scolaire 2024-2025. Loin du marché de bétail pour donner plus de chance de réussite aux élèves.
Lagoun Ismaela Drabo