Des chefs cuisiniers, on en connait. Mais il est rare sous nos contrées de voir des hommes qui chantent en faisant du tô, pâte de maïs malaxée et qui se mange avec une sauce. Du reste, même certaines femmes ont du mal à le faire. Le test, en général, c’est le jour de leur mariage, et Ablassé Compaoré les supplée, faisant le tô et chantant. Et son business marche. Une réputation construite sur du tô.
Burkina Faso, Mali, Côte d’Ivoire, Sénégal… ça le connait ! Ablassé Compaoré a fait tous ces pays pour exercer son métier. A Ouagadougou, au moins trois cérémonies par jour et environ 20 dans la semaine. Un franc succès pour cet artiste atypique. Mais sa vie n’a pas toujours été ainsi. Il en a vu des vertes et des mûres. La gorge nouée, larmes aux yeux sous le regard inquiet de ses deux épouses et cinq enfants, il raconte son histoire.
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Issu d’une famille de 19 enfants, tout semblait bien parti pour que la vie ne lui fasse pas de cadeau. Obligé de vivre loin de sa maman dès l’âge de trois ans, Ablassé a été élevé au milieu des épouses de son père et ses sœurs. Si fait que le garçonnet s’est retrouvé efféminé. Aussi, il faisait des travaux dits de fille, malgré la rude éducation à l’ancienne de son paternel. Lessive, vaisselle, cuisine… chanter et danser. « Quand mon papa me voyait faire, il s’énervait, il me frappait même, parfois », se rappelle-t-il. Mais, c’était écrit ! Il faisait ainsi ses classes.
Trois jours sans rien manger
Ablassé était vendeur ambulant au départ : « Je vendais les désodorisants de maison, de véhicule, les accessoires de véhicule… ». Mais le marché était morose. Il confie qu’il pouvait passer des jours sans rien vendre. Et s’il ne vendait pas, le panier de sa femme restait vide tout ce temps. Après quatre jours sans rien vendre, donc sans rien manger lui et sa femme, il décide de prendre les choses en main.
C’est ainsi qu’« en passant, je vois une tente et j’apprends que c’est pour un mariage», explique-t-il. La mariée était enfermée dans une maison et ses amies devaient chanter en tapant sur une calebasse, selon une certaine tradition. Ablassé qui était rentré pour demander à manger dit avoir constaté que personne ne chantait. « Je propose de chanter contre du riz. Mais elles refusent. J’insiste et elles acceptent ».
Le déclic
« Quand j’ai commencé à chanter, tout le monde était vraiment étonné. Ma voix tremblait et mes larmes coulaient. J’avais une voix fine à ce moment. J’ai chanté jusqu’à ce que la maman de la mariée elle-même vienne en personne. Et quand elle est arrivée, elle a commencé à pleurer », se remémore-t-il. Il dit être reparti de ce mariage avec plus de 300 000 F CFA et des pagnes reçus en cadeau. Le déclic ainsi donné, il était sollicité pour les cérémonies. Mais jusque-là, il chantait uniquement.
Drapé dans un grand boubou blanc, prêt pour un baptême, Ablassé donne des détails sur comment il en est arrivé à chanter et à cuisiner. « Les gens venaient me demander d’aller chanter. Et quand je pars, parfois je trouve que les invités ne finissent pas le repas qu’on leur sert. Certains enlèvent juste la viande et jettent le repas », constate-t-il. A l’en croire, c’est parce que les repas servis sont le plus souvent mal cuisinés. Il propose alors de faire la cuisine. « C’est comme ça j’ai commencé la cuisine. Je pars faire la cuisine. Et je chante aussi », déclare-t-il, l’air satisfait.
Après des injures, moqueries et manque de respect, Ablassé est devenu une star dans son domaine. Mamounata Ouédraogo qui le connait depuis près de 10 ans, se rappelle qu’au mariage de sa fille, les invités étaient surpris de voir un homme faire ce travail. Aussi, « Ils ont aimé sa cuisine, son ambiance, sa causerie », ajoute-t-elle, félicitant ce chanteur qui donne des conseils et même réconcilie des familles en conflit.
Des clientes satisfaites
Une autre cliente, Adama Ouédraogo, tient des propos d’encouragements : « Peu importe ce qu’il va entendre. Faut pas qu’il va prendre ça en considération ». Elle reconnait également qu’il fait du bon boulot. « Vous l’avez remarqué. C’est son travail. Il le fait avec amour », termine-t-elle.
Sa première épouse, Awa Samaré, que certaines langues ont poussé à quitter le foyer de l’homme qui prépare le tô aux cérémonies, se dit fière. « (…) de nombreuses personnes ont parlé, qu’ils n’ont jamais vu un homme faire du tô. Qu’il se comporte comme une femme. Beaucoup de gens m’ont dit de quitter son foyer », évoque-t-elle, jetant un regard sur son époux. Mère de cinq enfants Awa se rappelle que « ce n’était pas facile » mais « maintenant on rend grâce à Dieu », conclut-elle, l’air comblé, elle dont le mari est souvent à la cuisine pendant qu’elle se repose.
Avec un cachet minimum de 200 000 F CFA par prestation, Ablassé emploie plus de 40 personnes, dont des jeunes, des femmes. Certains pour la musique, d’autres pour la danse et la cuisine. Il dit être propriétaire de deux restaurants, fait du service traiteur, met en location du matériel de sonorisation et est propriétaire de quelques parcelles.
Boureima DEMBELE