Les mois d’août et septembre, l’Université Joseph Ki-Zerbo était habituellement calme. Vacances universitaires oblige! Cette année, le temple du savoir est plûtot animé. Pour cause, l’annulation des vacances universitaires pour rattraper le retard accumulé dans certaines filières. Si certains étudiants voient cela comme une chance pour se mettre à jour, cette décision divise la communauté étudiante.
Sous un soleil écrasant de midi, les étudiants en première année de philosophie assistent à leur cours dans un amphithéâtre plein comme un œuf. La voix du professeur résonne dans la salle pendant que les diapositives défilent au tableau. Les retardataires, eux, profitent de la concentration du professeur et des étudiants pour se faufiler discrètement. Cette situation, qui semble normale, ne l’est pas.
A cette période, il n’y a pas cours en principe ici à l’Université Joseph Ki-Zerbo, comme dans toutes les universités publiques du Burkina Faso.. Chaque année, les mois d’août et de septembre sont consacrés aux vacances. Mais cette année, l’Université Joseph Ki-Zerbo en a décidé autrement.
Des étudiants partagés
Dehors, quelques étudiants profitent de l’ombre des arbres disséminés un peu partout au sein de l’université, tandis que d’autres se rendent au restaurant universitaire, le pas pressé. Sous l’un de ces arbres, Sylvère Kaboré se repose après une longue matinée de travaux dirigés. Lui ne doute pas de la nécessité de cette mesure, seulement, « ça chamboule nos habitudes », admet-il en observant un camarade qui partage visiblement le même avis.
À cette période, Sylvère aurait dû aller au village pour aider sa famille à cultiver, comme il le fait chaque année. Mais cette année, il est là, mi-heureux, mi-contrarié. La satisfaction de pouvoir enfin résorber ce retard se la dispute avec la peine d’abandonner sa famille.
«Mes parents vont devoir se débrouiller sans moi cette fois-ci », confie-t-il, avec un grain de regret dans la voix. Il n’est pas le seul à être dans cette situation. Bon nombre d’étudiants passent cette année leurs vacances entre les quatre murs de l’université, le nez dans leurs cahiers.
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Rachid Doulkoum aussi accueille la nouvelle avec enthousiasme, même si le retard n’est pas aussi important en faculté de médecine. Il se réjouit à l’idée de combler les petits retards. Après un mois et demi sans repos, cet enthousiasme a disparu. Les cours s’enchaînent à un rythme effréné, et les devoirs sont programmés de manière si rapprochée qu’il est devenu presque impossible de travailler correctement. De plus, ce qui le dérange le plus, « notre temps de pratique à l’hôpital a été réduit pour se concentrer uniquement sur les cours théoriques ». En médecine, où la pratique est aussi, sinon plus cruciale que la théorie, cette décision complique considérablement leur apprentissage.
Des sacrifices au nom de l’urgence académique
Ces deux mois de vacances sont bien plus qu’un temps de repos pour les étudiants. C’est la période où certains font de petites activités génératrices de revenus. D’autres rentrent au village auprès des leurs. Le secrétaire général national de la Fédération estudiantine et scolaire pour l’Intégrité au Burkina Faso (FESCI-BF), Thomas Badouni, reconnaît l’impact de la mesure sur les étudiants.
Mais c’est aussi une aubaine pour beaucoup de filières et, par ricochet, d’étudiants de sortir du cercle vicieux du retard académique. « Nous savons que cette mesure aura un impact négatif pour certains étudiants, surtout ceux qui doivent aider leurs familles. Mais l’intérêt général prime. C’est une décision qui va dans le sens de l’amélioration des conditions académiques pour tous. »
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La FESCI-BF, qui a été impliquée dans les négociations ayant conduit à cette décision, s’aligne derrière cette mesure. « Notre rôle en tant que syndicat est de veiller au bien-être collectif des étudiants. Certes, cette décision bouscule les habitudes de beaucoup d’entre nous, mais elle est nécessaire pour résorber les retards et nous permettre de retrouver un rythme normal dès l’année prochaine », précise Thomas. Malgré de nombreuses tentatives, l’Administration de l’Université a refusé de communiquer sur le sujet.
Vers un retour à la normale ?
Alors que le mois de septembre tend à sa fin, les cours se poursuivent sur le campus de Zogona avec l’espoir d’un retour à la normale. Dans certaines filières où le retard n’est pas significatif, ces deux mois de cours intensifs ont permis d’avoir une petite avance sur le programme.
Bien que la mesure divise et perturbe les habitudes, elle pourrait marquer un tournant décisif dans la gestion des retards académiques à l’Université Joseph Ki-Zerbo. Les étudiants continuent de venir aux cours, portant en eux l’espoir d’une année 2025 qui, avec un peu de chance, retrouvera enfin la « normalisation » des années académique qu’a perdu l’Université depuis la venue du système LMD.
Lagoun Ismaela Drabo