Le palais royal de Issouka, Maasmè plus qu’un conservatoire de traditions, est un véritable site culturel et touristique au cœur de la ville de Koudougou dans la région du Centre-ouest du Burkina. Avec une architecture imposante et originale, il draine milliers de visiteurs chaque mois. Une attraction entretenue par le locataire du palais : Naba Saaga 1er qui a voulu son palais moderne, ouvert sur le monde tout en gardant son authenticité et ses secrets à l’abri des regards étrangers et non initiés.
Issouka, Koudougou. Ce quartier de la cité du cavalier rouge situé dans la région du Centre-Ouest est aussi célèbre que la ville qui a vu naître Norbert Zongo. Émérite journaliste d’investigation assassiné en 1998 et dont l’université publique de la ville porte le nom. Nous sommes samedi et la grande cour du palais grouille de monde. Sous des arbres, un groupe de jeunes s’impatientent de visiter le palais. Mais en attendant, ils animent les lieux en dansant, tapant dans les mains ou dans des djembés.
A l’entrée principale du palais, le visiteur est accueilli par les statues de Yennenga et de Rialé. Deux figures importantes de l’histoire des peuples mossé, un groupe ethnique du Burkina Faso. On peut également voir au premier niveau, une série de statues représentant des artistes, des musiciens, des forgerons, des agriculteurs, des ménagères, des guerriers… comme si l’architecte célébrait les différentes couches socio-professionnelles, cette population sous le magistère du chef de Issouka.
Une audience avec tapis rouge
Dans la salle d’audience, c’est le silence. Une dizaine de personnes attendent. Elles sont de plusieurs nationalités, de plusieurs couleurs. Un flûtiste et un joueur de castagnettes leur distillent des sonorités locales en attendant. Les deux musiciens sont accompagnés d’un chanteur. Sibi Zongo joue son ruudga en chantant les louanges du roi, et en retraçant sa généalogie. « Naba Wayignan yé (cher roi, veuillez sortir), ne cesse de psalmodier le chanteur, comme des supplications.
Aussi, un jeune, le visage grave, tient un gourdin dans une main, une queue-de-cheval dans l’autre. Le regard inquisiteur sur l’assemblée, il est arrêté à côté du trône du chef donnant l’impression de veiller sur ce symbole.
Dans cette ambiance, apparaît le chef. Drapé d’un grand boubou blanc avec des rayures noires et brodé, il est coiffé d’un bonnet multi couleurs, à dominance rouge. La canne en main, il s’installe et donne l’autorisation à l’assistance qui s’était mise debout d’en faire autant. L’eau de bienvenue est servie dans une calebasse par une jeune fille. Après ces intermèdes, commence la discussion par l’intermédiaire du représentant des visiteurs assis une chaise en face du trône, les pieds sur un tapis rouge à l’occidental. L’étranger a droit aux honneurs ici. Le chef s’adresse en langue nationale mooré et un porte-parole transmet son message à l’assistance, en français.
« Le chef traditionnel ne ment pas. Si dans ce qu’il dit, il y a des non-vérités, on dira donc que c’est la bouche qui a transmis le message qui est fautive », nous expliquera plus tard le porte-parole. En cadeau, le chef fait don d’un coq blanc (symbole de confiance). Il reçoit en retour un tableau. Puis, Naba Saaga 1er autorise ses invités à venir lui serrer la main avant de se retirer.
Un palais ouvert sur le monde
Après l’audience, le chef retrouve ses invités sous de gros manguiers. Là, l’atmosphère est moins solennelle, plus décontractée. Naba Saaga 1er qui s’est changé entre-temps, parle même en français.
Les dessins soignés sur les murs, la décoration, l’architecture imposante en matériaux locaux avec la technique de la voûte nubienne, ainsi que des statues géantes font la particularité du palais qui attire des milliers de visiteurs.
En plus, il y a même une bibliothèque pour les férus de lecture et de recherche. Des dortoirs pour les visiteurs qui veulent séjourner à l’ombre du palais. Sans compter un bar restaurant sous les grands arbres pour reprendre des forces.
Et le chef de nous dire que la structure centrale de son palais lui été inspiré par une bâtisse bien connue à l’international. « La coupole est inspirée du Capitol aux États Unis », explique l’ancien fonctionnaire du système des nations. Puis, ajoute avec fierté: « j’ai pris les briques à partir du marigot et les toits que vous voyez , c’est la voute nubienne, fait avec la terre de chez nous, les artisans de nos chez nous , un fils de Koudougou ».
Lire aussi: Naba Djiguemdé, jeune, étudiant et chef de canton
Alors que le chef de Issouka est intronisé en 2005, le site actuel, au bord du barrage n’est qu’une brousse. «Je me suis demandé comment je peux faire pour faire respecter le bonnet ? Les catholiques ont besoin d’une église, les musulmans d’une mosquée, les chefs doivent voir des endroits qui accueillent, qui apaisent et qui impressionnent », justifie Naba Saaga 1er. Il le reconnaît, ses multiples voyages à travers le monde l’a inspiré à voir les choses en grand.
« Je suis née ici, j’ai trouvé mon père dans une maison en terre comme les autres. Plus que mon père, j’ai eu la chance d’aller à l’école, de voyager, d’étudier à l’université, de travailler aux nations unies, de voyager à travers le monde. Je ne pouvais pas vivre cette chefferie comme mon père l’a vécu. Avec sa dignité certes mais avec ses limites », poursuit le diplômé de sociologie et de communication à l’université de Ouagadougou de Bordeau III.
Mixité de cultures
Rasmané Poubéré, étudiant, travaille sur l’esthétique negro africaine dans le cadre de son mémoire en master. Le palais de Issouka étant son objet d’étude il est régulièrement là pour récolter des informations. Le mixage entre plusieurs traditions et modernité semble fasciner le jeune chercheur. « Les décorations par exemple sont de type Gourounssi ou Kassena », analyse-t-il. Selon lui, la culture ne doit pas être figée et « n’eut été ces éléments apportés, il n’y aurait peut-être pas autant de visiteurs » dans le palais.
Lui est chef d’entreprise à Ouaga. Philippe Duard, français vivant au Burkina depuis plus d’une dizaines d’années était de la délégation reçue par le chef. Pour lui également c’est d’une « grande intelligence » que cette touche de modernité apportée dans l’architecture du palais. « Il a compris qu’il ne peut rester dans son quartier, son village, il faut s’ouvrir à la ville, à la région, au pays et au monde. Quand on a la possibilité de s’ouvrir à d’autres cultures, ça apporte », se convainc-t-il. Ce à quoi répond le chef: « Il ne faut pas prendre avec une bouche béante tout ce qui vient de l’extérieur, mais il ne faut pas non plus se refermer sur ce que nous avons ici ».
Quant à Nayaga Rémis, il l’un des guides des lieux. Lui également est étudiant en master. Il explique qu’il y a trois éléments de visite. Le palais composé de trois salles « visitables », la salle d’audience, salle des rois, salle des mots perdus. Il y a ensuite la place Naaba Baongho où se tient la fête du Nabasga, et le musée Rayimi (n’oublies pas en langue mooré). « En tant que jeune, nous apprécions énormément la dynamique du chef d’Issouka qui vraiment ouvert au monde », se réjouit le jeune guide.
Attention tout ne se montre pas
Attraction touristique, le site est régulièrement pris d’assaut par des artistes qui y viennent tourner des clips vidéo. Malika la slameuse, Donsharp de Batoro, de célèbres artistes burkinabè, ont par exemple tourné ici. Certes, un honneur pour le chef de Issouka, mais qui met quand même des garde-fous pour garder la respectabilité de son palais. « Là où c’est sacré, les artistes et autres n’y ont pas accès. Les artistes ne vont que là où c’est autorisé. Je ne permets pas tout. Il faut envelopper cela de toute la dignité d’un palais », insiste le maître des lieux.
Justement ne craint-il pas qu’en transformant son palais en lieu touristique et récréatif, il ne le désacralise ? Une question à laquelle Naba Saaga se veut rassurant, « je respecte le côté intime et sacré du palais ». Mais la construction du palais n’est pas terminée. D’ailleurs, le locataire des lieux dit avoir encore plein d’idées. Des idées tirées de sa culture traditionnelle moagha dont il est garant à Issouka, mais également de ses multiples voyages sur les 5 continents.
Tiga Cheick Sawadogo