A Koudougou dans la région du Centre-ouest, huit teinturières donnent de l’éclat aux tissus sans âme et une seconde vie aux jeans délavés. Depuis près de 20 ans, c’est l’activité du groupement Loong Neeré (beauté coton). Mais ces derniers temps, elles font face à l’intrusion du fil ghanéen dans le maarché nationale, mettant en sursis l’avenir de leur activité.
Dans une cour située au secteur 10 de Koudougou, une femme enfile son masque. Elle porte ses gants et ses chaussures de sécurité. Visiblement, Véronique Tiogo se prépare à donner de la couleur à une étoffe. Se saisissant d’un tissu blanc, elle le plonge dans de l’eau, puis t’étale sur un grand sachet noir. Des deux mains, la dame plie le tissu blanc. Le pas agile, elle se dirige à l’autre bout de la cour où une marmite est au feu.
Un mélange de colorant en pleine préparation. Dame Véronique prend une petite quantité et revient sur ses pas. Elle remplit une poire du liquide de couleur marronne et se met à asperger le tissu blanc plié. « Je suis en train de faire le modèle salade. Un modèle du koko Dunda », explique-t-elle. Puis, elle ôte son masque. « Il faut attendre 5 minutes pour voir le résultat », nous dit la teinturière.
Puis, quelque temps après, elle revient, prend le pagne et le replonge dans de l’eau. «C’est tout. Il ne reste plus que le repassage », lance la dame, l’air satisfaite du résultat final. Le pagne prend une autre allure. Un tissu en double couleur (du blanc et du marron). Véronique Tiogo vient là de teindre un pagne Koko Dunda.
Près de 20 ans à teinture
Depuis 2005, elles sont huit à travailler dans la teinture dans la cité de la défunte Faso fani. « Nous teignons des nappes de tables, des draps, des couettes et des fils. Des tisserands achètent ces fils teints pour faire des pagnes Faso Danfani », explique Viviane Kanziomo, Présidente du groupement. Sur les différentes cordes dans la cour du groupement, on peut voir des jeans. L’une des autres spécialités des femmes: redonner vie aux jeans délavés.
« Les propriétaires amènent leurs jeans pour qu’on y mette la teinture. Mais il faut qu’ils soient en coton pour bien prendre la teinture parce que si c’est du mélange, le jeans ne prendra pas bien la teinture. Pour remettre la teinture sur un pantalon, cela fait 1000 FCFA », ajoute la Présidente. Et c’est avec fierté que Viviane Kanziomo nous apprend que toutes les femmes du centre sont déclarées à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS).
« C’est déjà un atout pour nous parce qu’on est en train de préparer notre avenir. Ça nous aide à nous occuper de la scolarité de nos enfants, avec les charges de la maison aussi. La teinture, en tout cas, ça nourrit son homme », reconnaît-elle.
Le fil à problème
Un tableau presque parfait pour Viviane Kanziomo et ses camarades. Seulement un sujet les met presque toutes en colère. Et c’est Véronique Tiogo qui se lance. « Avant l’activité était prospère, bien rentable, mais plus maintenant. C’est à cause des fils du Ghana. Ces fils ont compromis notre chiffre d’affaires. Il n’y a pas plus de marché. Cela a gâté notre marché. On demande à l’Etat d’interdire les fils du Ghana, sinon le taux de chômage va augmenter », maugrée la teinturière.
Pendant ce temps, sa présidente ajoute une autre couche. Selon elle, pendant les périodes de grâce, Loong Neeré arrivait à teindre 10 balles de tissus par jour. «Nous étions débordées par le travail, il fallait même recruter des temporaires. On montait à 8h, mais des gens venaient déjà à 4h pour s’aligner et espérer avoir nos fils. Actuellement 2 balles même ce n’est pas sûr. Tout ce qu’on est en train de teindre doit partir à Nouna. Sinon à Koudougou, nous ne pouvons plus vendre comme on veut », regrette Viviane Kanziomo.
En effet, après une rupture de fil à FILSAH, principale et seule entreprise au Burkina à fabriquer les fils, des teinturières et autres acteurs du domaine se sont retournés vers le fil venus du Ghana, déjà teint. Une habitude qui peine à changer maintenant que la situation est revenue à la normale à FILSAH qui a repris sa fourniture de fils.
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« Les tisserands ne prennent plus le fil FILSAH pour tisser les pagnes. Pourtant le fil FILSAH est un bon fil. Il est mou et doux. Quand on tisse un pagne avec, les gens apprécient », commente Véronique qui en appelle également à l’intervention de L’État pour sauver les emplois locaux.
C’est en fin juillet que les teinturières de Loong Neerée lançaient ce cris de cœur. Elles semble avoir été entendues. Dans un communiqué signé conjointement par le ministère de l’économie et celui de l’industrie, le gouvernement a porté à la connaissance des opérateurs économiques et de la population, l’interdiction d’importer les fils de tissage et pagnes tissés. Selon le gouvernement dans cette note qui date du 24 septembre 2024, cette mesure vise à promouvoir la chaine de valeurs coton-textile-habillement.
Tiga Cheick Sawadogo