Depuis trois ans, le Stade du 4 août de Ouagadougou est fermé pour des travaux de rénovation. Les athlètes burkinabè se sont retrouvés sur le terrain de l’Institution des sciences des sports et du développement humain (ISSDH). Mais, ils sont confrontés à un terrain pas aux normes, souvent impraticables avec des risques de blessures. Malgré tout, athlètes et encadreurs s’accrochent.
« La pluie se prépare. Il faut qu’on arrête les entraînements », lance Apollinaire Kiemdé, entraîneur de la section athlétisme de l’Étoile Filante de Ouagadougou (EFO) tout en scrutant l’horizon. Rapidement, il rassemble ses jeunes athlètes pour sonner le départ afin d’ éviter d’être surpris.
Sur le terrain central de l’Institut des sciences des sports et du développement humain (ISSDH), ce n’est pas une piste d’athlétisme moderne qui entoure le terrain. C’est une simple bande de terre battue d’à peine cinq couloirs cabossés et plein de trous. C’est ici que, les jeunes athlètes contraints d’abandonner le stade du 4 août de Ouagadougou, fermé pour rénovation, s’entraînent depuis trois années. A chaque fois qu’il pleut, le terrain est inondé et devient impraticable. Les entraînements sont souvent suspendus pour au moins trois jours tant la piste est impraticable.
La terre rouge du terrain de l’ISSDH est aussi impitoyable qu’un marathon sous un soleil de 50 degrés. « Ici, on s’adapte comme on peut », lâche Kiemdé, avec une pointe d’amertume. « Quand il pleut ici, on appelle ça le barrage numéro 3 », ironise-t-il en référence aux deux principaux barrages de la ville de Ouagadougou.
Des conditions inappropriées
Le parcours du combattant ne s’arrête pas là. Sans tartan, difficile de juger du niveau réel des athlètes. Anne Ouoba, starter internationale est aussi entraîneuse d’athlétisme. Assise sur sa moto les bras croisés, elle observe des athlètes faire le tour du terrain, tout en sueur et en évitant les nids de poules. « Qu’il pleuve ou qu’il ne pleuve pas, on ne peut pas s’entraîner. Le terrain est plein de trous alors qu’on ne peut pas courir dans les trous », déplore Anne Ouoba.
Ce terrain ne compte que deux sautoirs dont l’un a été construit grâce au soutien de Hugues Fabrice Zango, champion du monde de triple saut et premier médaillé olympique du Burkina Faso. Sur l’autre terrain plus ancien, le sable a laissé place à de la terre dure que les athlètes ont creusé à l’aide de daba avant chaque séance d’entraînement pour essayer de le ramollir.
Dans un tel contexte, les blessures sont le lot quotidien de ces athlètes qui rêvent tous de briller un jour au haut niveau. Chaque jour d’entraînement, chaque foulée de ses athlètes constitue un risque pour leur santé. « Les trous et la dureté du sol causent des blessures. Une de mes athlètes est en rééducation pour un problème à la colonne vertébrale », explique-t-il. Apollinaire craint même pour l’avenir de cette athlète capable de réaliser une performance de 11m au triple saut malgré les conditions difficiles.
On s’accroche quand même
« Nos athlètes souffrent de claquages, de déchirures musculaires. Une de nos jeunes a même un problème à la colonne vertébrale à cause des chocs sur ce terrain», se désole Anne Ouoba alors même que des motards traversent le terrain. En l’absence de tartan adapté, les chaussures à pointes, conçues pour la piste synthétique, s’usent rapidement.
Dans ce système d’improvisation, l’athlète Gloria Balma, 15 ans, spécialiste du sprint et du triple saut, résume bien la réalité : « A défaut de téter la maman, on tète la grand-mère ». En dépit du manque d’équipements et de matériel, les jeunes athlètes tentent de s’accrocher. « Le sable du sautoir est de mauvaise qualité et provoque des douleurs au dos après quelques essais », confie Gloria.
Des propos qui confirment ceux de son entraîneur Apollinaire Kiemdé. Pour cela, les athlètes doivent souvent arrêter les entraînements, le temps de récupérer et de se remettre au travail. Ce qui ne garantit par la réalisation de bonnes performances. Mais l’espoir de s’entraîner un jour dans de meilleures conditions permet aux athlètes de tenir et de continuer le travail. « On donne le meilleur de nous-mêmes ici, en attendant un jour un vrai terrain pour s’entraîner », espère Gloria.
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Pour préparer les championnats régionaux, « nous devons libérer notre génie créateur », selon Anne. Il faut bricoler. Les entraîneurs tracent des couleurs à l’aide de cendre. Au fil des passages, il faut reprendre les tracés. Toutefois, la fatigue morale se fait sentir. Certains jeunes abandonnent les séances d’entraînements. « C’est vrai. Les athlètes se découragent. Ils partent puis reviennent un jour. Ce n’est pas simple », soupire-t-elle.
La plupart des jeunes ici rêvent d’avoir des carrières similaires voire meilleures à celles de Hugues Fabrice Zango et Marthe Koala, les deux vedettes de l’athlétisme au Burkina Faso. L’absence de terrain adapté empêche de faire ce travail. « Si on avait les moyens ici, on aurait au moins dix Fabrice Zango ou Marthe Koala dans dix ans », déclare Apollinaire Kiemdé. Mais il prévient : « Avec ce genre de terrain, on construit et on détruit en même temps ».
Pendant quatre ans, Pierre Kafando, président sortant de la ligue du Centre d’athlétisme, a dû faire avec les moyens de bord pour organiser les compétitions régionales. « Le stade du 4 Août était notre seul espace aux normes. la plupart des établissements scolaires qui sont aux alentours de l’ISSDH viennent pratiquer leur cours d’éducation physique et sportive ici, le matin et le soir alors que nous aussi, nous faisons nos entraînements ici, matin et soir », avoue-t-il. Quand tout ce beau monde se retrouve, les entraînements deviennent impossibles. Il faut changer de formule. « Cela devient de l’animation sportive et non un entraînement », dit Kafando avec regret.
Des solutions concrètes
Les entraîneurs appellent les autorités à agir de toute urgence. Sinon, certains athlètes risquent d’abandonner définitivement du fait du manque infrastructures sportives. Ce qui serait une perte pour le Burkina Faso. Mais pour cela, ces entraîneurs proposent des solutions. « Réhabiliter le Stade du 4 Août ou construire un autre stade avec une piste adaptée. Le tartan du stade est déjà foutu, il faut penser aussi à une nouvelle piste au stade municipal », suggère Sidibé Hama, coach de demi-fond à l’EFO/Athlétisme.
Julienne Yoda Dakoupa est jeune sprinteuse spécialiste du 100m et du 200m. Habitante au quartier Marcoussis, elle parcourt plus de 10 km à vélo pour participer aux séances d’entraînement. Elle souhaite qu’une plus grande attention soit accordée au sport, notamment à l’athlétisme. « Si nous avons un bon tartan, vous verrez que nous allons réaliser de meilleurs résultats en athlétisme pour l’honneur du Burkina Faso », promet la jeune fille.
Le retour du Stade du 4 Août est devenu une attente interminable. L’ouverture du stade a été plusieurs fois annoncée sans que cela ne soit réel. En plus, le stade Sangoulé Lamizana de Bobo Dioulasso est aussi impraticable que ce soit pour les entraînements ou les compétitions. « En attendant, on s’adapte, comme le font nos frères des régions qui s’entraînent aussi sur la terre battue », glisse Kiemdé, résigné.
Malgré les blessures et les frustrations, les athlètes restent déterminés à continuer. Pour l’heure, ils continueront de « téter la grand-mère », en espérant un jour retrouver la « maman » : une vraie piste d’athlétisme. Alors que les premières gouttes de pluies s’annoncent, athlètes et entraîneurs prennent leur moto ou vélo afin de se trouver un abri en espérant revenir donner le meilleur de soi.
Boukari Ouédraogo