L’adaptation des déplacés internes se fait dans bien des compartiments de leur nouvelle vie. Ainsi, ayant fui, laissant derrière eux leur vie, certains sont obligés également de faire un trait sur leurs habitudes alimentaires. C’est donc un véritable combat nutritionnel qu’ils mènent.
Visiblement les déplacés internes vivant à Banfora au secteur 3 ont perdu bien plus que leur habitat et leurs biens matériels… Leurs habitudes alimentaires sont restées derrière eux. En plus donc de se démener pour se trouver un logement décent, avoir une source de revenus… ils doivent se reconstruire un régime alimentaire, se conformant ainsi à leur milieu d’accueil. Non sans difficultés.
Déplacée interne originaire de Barboulé, Aissa Tamboura, est par coïncidence en train de cuisiner. Il y a du tô au menu, une sorte de pâte malaxée de farine de maïs ou de mil. Tout sourire, elle manie avec habileté la spatule pour avoir une bonne pâte de tô de maïs jaune, une céréale qu’elle n’avait pas l’habitude de consommer dans sa localité d’origine.
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Elle confie que changer brusquement ses habitudes alimentaires n’a pas été chose aisée. « Nous sommes venus ici, nous mangeons le maïs malgré nous. Ça ne nous rassasie même pas. Mais si nous ne mangeons pas ça, nous allons manger quoi?», se plaint-elle. Elle ajoute que l’argent fait défaut pour acheter du mil afin de varier le régime alimentaire ou pour revenir aux menus auxquels ils sont habitués. Ils font avec les moyens du bord pour « sincèrement (…) ne pas mourir de faim».
Et même pour la cuisine du tôt de maïs, Aissa dit ne pas en avoir la maitrise totale. « Tu vois il y’a des boules dans mon tô ça prouve que je ne maitrise toujours pas. Jusqu’à présent je ne maitrise pas comment on cuisine le maïs », regrette-t-elle.
Des astuces pour s’adapter au nouveau régime alimentaire
En dehors de la préparation, l’étape de la consommation est aussi pénible pour des personnes qui ont passé 40 ans ou plus de leur vie à consommer autre chose. C’est le cas avec la matriarche Ramata, déplacée interne. Pour elle, le plus difficile a aussi été l’adaptation alimentaire. Avec un brin de nostalgie, elle explique que chez elle à Djibo, elle avait l’habitude de manger le soumbala, une sorte de bouillon, fait à base des graines d’oseille.
Mais à Banfora, ce bouillon est fait à partir des grains du néré. Différence totale. Une autre utilisation était faite du néré. « Nous on l’utilisait juste pour se soigner ». Et faute de mieux-être dans leur situation de déplacés, leurs papilles s’en accommodent, selon les dires de la vieille dame. « Nous avons eu du mal à nous habituer à son goût », signale-t-elle.
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Face à cette situation, Abdoulrahmane Zouhré, originaire de Gorom-gorom, dit avoir développé des astuces pour amoindrir le choc du changement brusque de son alimentation. « (…) arrivés à Banfora ici, on a eu un grand changement. Ce n’est pas simple parce que tu manges ça, un peu de temps après tu as faim », affirme-t-il. Et pour tenter une adaptation, il mélange le maïs avec le sorgho ou bien avec le petit mil pour consommer.
L’avis du nutritionniste
Selon la nutritionniste Denise Ouadba Wédraogo, les céréales s’accompagnent de quelque chose. Aussi, elle suggère de consommer le maïs avec l’enveloppe. Et leur recommande s’ils ont la possibilité d’avoir du haricot, de manger le haricot avec le couscous de maïs. « Et là aussi ils pourront faire le tô avec ». La nutritionniste explique aussi que dans la sauce il va falloir avoir un peu de protéines, un peu d’huile même si c’est le beurre de karité et puis les feuilles. Ou encore, il faut bien écraser de l’arachide ou faire de la pâte d’arachide pour agrémenter la sauce.
De cette manière, la sauce sera un peu consistante avec la céréale qui va avec. « Ils peuvent ne pas mettre la viande, ils peuvent ne pas mettre poisson mais s’ils ont par exemple du haricot, ils peuvent le faire bouillir et l’utiliser comme viande dans la sauce », poursuit-elle.
Le psychologue, Dr Daouda Kouma, pour qui l’alimentation participe de la santé mentale, avance qu’il y a un travail d’explication, de sensibilisation à faire, afin de rassurer les déplacés internes pour faciliter leur adaptation. Il reste convaincu qu’en plus de l’aide alimentaire, il y a un préalable qui est la mesure des perceptions des déplacés internes face au changement brusque du régime alimentaire.
Boureima DEMBELE