Rien, ou presque, ne semblait le destiner à une carrière dans le cinéma. Né à Léo, dans un village encore privé d’électricité, Nignan Batien découvre la télévision bien tard, au lycée de Gaoua. Pourtant, aujourd’hui, ce fils de la campagne burkinabè trace son chemin dans le monde du cinéma alors qu’il a commencé sur le tas avec un appareil argentique.
C’est dans la cour de l’ISIS, entre éclats de rires et discussions passionnées, que nous retrouvons Nignan Batien, devant son ordinateur, en pleine séance d’écriture avec l’un de ses collaborateurs. L’étudiant en fin de cycle à l’Institut Supérieur de l’Image et du Son (ISIS) se projette déjà sur la production de ses prochains films. Il prépare un court métrage et un long métrage. Entre ateliers de travail et séances de projections, Nignan Batien trouve du temps pour des échanges.

Appearances, son film d’école a déjà franchi les frontières du Burkina Faso. Ce court-métrage de six minutes évoque la vie d’un couple naviguant dans une vie marquée par le terrorisme. Sélectionné au prestigieux festival international de films d’école de Tel Aviv, ce court-métrage lui ouvre pour la première fois les portes d’un avion. « C’est la première fois que je prenais l’avion », raconte-t-il avec un sourire moqueur. L’aventure continue ensuite en Russie, au festival de films d’école de la VGIK, une institution qui a formé des légendes comme Idrissa Ouédraogo, Souleymane Cissé ou encore Abderrahmane Sissako.
La persévérance de Pasteur photo
Derrière cet étudiant en cinéma prometteur, surnommé « Pasteur Photo », se cache un parcours semé d’embûches mais aussi de débrouillardise. Tout commence en 2006, à l’université, armé d’un simple appareil photo argentique prêté par un certain Tiéné. A l’époque, il arpente la cour de l’université, proposant des photos d’identité aux étudiants pour quelques pièces. « Je travaillais avec Tiéné, c’était juste pour payer mes tickets de restaurant », se rappelle-t-il.
Par l’intermédiaire de Tiéné, il apprend donc la photographie sur le tas. C’est comme ça qu’il développe une véritable passion pour l’image. Mais le jour où Tiéné est admis à un concours de la fonction publique, il repart avec son appareil, laissant Nignan orphelin de son outil de travail. Pourtant, loin de baisser les bras, il ose demander à son ancien mentor de lui prêter l’appareil. Pari gagné. « Il m’a fait confiance et il m’a prêté son appareil amateur. J’ai pu travailler pendant un certain temps », poursuit-il.
Nignan relance son activité. Mais cet appareil lui sera retiré plus tard, le ramenant à la case départ. Mais, profitant de sa bonne relation avec un laboratoire de photo, il s’endette pour acheter son propre appareil à crédit. « Il y a avait quelqu’un qui avait la même marque d’appareil amateur. J’avais donné 5000 francs comme avance, et j’ai payé le reste petit à petit », raconte-t-il fièrement.
Comment contourner la concurrence
Confronté à une concurrence féroce, Nignan innove. Il s’entoure d’une petite équipe. Tandis que lui sillonne le campus pour prendre des photos, ses jeunes collaborateurs se chargent de développer les pellicules. Ce système ingénieux lui permet de gagner en vitesse et de devancer ses concurrents. « J’étais à un moment seul sur le terrain en train de faire les photos pendant que mes concurrents étaient au laboratoire avec mes employés. Lorsque mes employés reviennent, ils repartent immédiatement développer les photos, alors que je suis encore avec mes concurrents sur le terrain », raconte-t-il avec une pointe d’humour.

L’arrivée de la photo numérique va bouleverser la donne. Flairant l’opportunité, Pasteur Photo bascule rapidement vers le numérique, alors que ses concurrents s’accrochent encore à l’argentique. Il investit aussi dans un ordinateur. Cela lui permet de raccourcir encore le processus. Plus besoin de passer par le labo. Il retouche ses images lui-même avant de les envoyer directement pour tirage. Une petite révolution qui lui fait prendre une sérieuse longueur d’avance. « C’était plus rapide et moins cher », précise Pasteur Photo.
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Son succès dérange. Certains concurrents débauchent ses employés pour le freiner. D’autres tentent même de l’exclure des espaces de travail. Mais Nignan ne se laisse pas faire. Il économise et achète une imprimante photo instantanée. « Ils m’avaient interdit de l’utiliser. Ils m’ont bastonné pour cela, mais grâce à l’intervention de la gendarmerie, ils m’ont laissé tranquille ».
Du courage et de l’ingéniosité
Mais il ne s’arrête pas là. Il pousse l’ingéniosité encore plus loin en achetant une fourgonnette. Puis, plus tard, il aménage sa camionnette en laboratoire mobile. « J’ai installé une batterie, ma machine, et je pouvais imprimer directement sur place. Lorsqu’il pleuvait, je n’avais pas de problème », explique-t-il. Ce laboratoire itinérant lui ouvre les portes d’institutions qui font appel à lui pour des prestations.

En 2014, il installe son studio photo. Des photos d’identité, il passe progressivement à la couverture de mariages et autres cérémonies. Il a employé ou formé plus d’une quarantaine de personnes. Deux employés travaillent avec lui, parmi lesquels Minyeme Miadou qui y travaille depuis 2018. « La collaboration se passe bien. C’est un bon formateur. Tout travail qu’il fait, il veut de la qualité. Il n’y a pas de demi-mesure là-bas », témoigne-t-il.
Puis, encouragé par ses clients, il s’intéresse à la vidéo. Il achète une caméra d’occasion. « C’est un journaliste qui m’a vendu l’appareil et m’avait promis qu’il me sera rentable une fois réparé », se souvient-il. Il se forme auprès des cadreurs de la RTB et se met à filmer des mariages.
Le chemin vers le cinéma
La vraie bascule vers le cinéma survient en 2021. Lors d’une rencontre avec un réalisateur, ce dernier l’encourage à se former à l’ISIS. L’inscription coûte cher. Il doit payer 850 000 francs CFA par an. Mais Pasteur Photo se lance, malgré les doutes. Dès le premier cours, un exercice d’écriture documentaire « L’âne de fer » lui vaut les félicitations de son enseignant et lui ouvre les portes d’une bourse de 5 millions de francs CFA. C’est par sa détermination qu’il a pu réaliser son film d’école sélectionné dans des festivals internationaux.

Aujourd’hui, fort de son expérience de terrain et de sa formation académique, Pasteur Photo travaille à son premier long-métrage. Il a monté sa propre maison de production avec des amis. « On veut produire nos films sans attendre les financements extérieurs », explique-t-il, fidèle à son esprit d’indépendance. Pour cela, il prévoit réaliser des films commerciaux et compétitifs tout en mettant en place un système qui permettra de s’autofinancer.
« C’est quelqu’un de loyal, déterminé et programmatique. Il essaie d’analyser toujours et essaie d’être en avance. Il cherche toujours à avoir une solution. Il est très intelligent et donne envie de travailler », raconte Habibou Sawadogo actrice dans l’un de ses films, devenue sa collaboratrice. Pour ce qui concerne le FESPACO, Nignan attend son moment pour inscrire son nom, un jour, aux côtés des lauréats.
Boukari Ouédraogo