Les mélodies laissent la place aux bruits de canon, au regard de la lutte menée contre les groupes armés au Burkina Faso. Dans cette lutte, les artistes paient un lourd tribut. Il n’y a plus de spectacle dans certaines localités. En attendant, c’est la lutte pour la survie.
Les micros sont déposés, rangés. La carrière semble être en stand-by pour certains artistes musiciens. Cela au regard de la situation sécuritaire du pays qui limite les mouvements sur le territoire national. Pour ceux-ci, le terrain fertile se trouvait à l’intérieur du pays pour des spectacles, ce qui leur permettait de vivre de leur art.
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Assise dans son institut de beauté dans le quartier Zogona de Ouagadougou, Miss Wédra, de son vrai nom Awa Ouédraogo, attend son premier client de la journée tout en écoutant l’une de ses chansons. Avec un air nostalgique elle confie que « si c’était avant, je sors jeudi, vendredi, samedi, dimanche et c’est lundi soir que je rentre à Ouagadougou. Donc, imagine, si j’enlève toutes mes dépenses, les danseurs, les managers, les promoteurs, je peux rentrer avec plus d’un million de F CFA. Ça veut dire dans le mois, si je fais ça quatre fois, ça fait combien ? On dit à ce moment que l’artiste vit de son art ».

L’artiste musicien Grand docteur vit la même situation, lui qui pouvait enchainer 30 concerts en un mois. A l’en croire, il est l’artiste qui est allé au fond du Burkina Faso. De Baraboulé, Sollé, Djibo… il dit connaitre tous les recoins du Burkina Faso. « Je me rappelle que j’ai fait 60 jours, 62 concerts », se remémore-t-il. Il ajoute qu’« à Ouagadougou, on est saturé. Alors que dans les provinces, les gens nous réclament et les tournées nous rapportent beaucoup d’argent. Et souvent même ça avec les tournées provinciales qu’on utilise l’argent pour payer ici et puis bosser dans le live ».
Ce que font certains artistes en attendant…
Dans l’évènementiel depuis 2009, Désiré Kodjo de l’institut Décor Inter faisant l’état des lieux estime que « c’est un peu difficile parce que c’est limité dans des endroits ». Désiré ajoute qu’il y a trois ou quatre ans, ils partaient partout, dans tout le pays, sans exception. « Mais depuis trois ans, c’est limité. Il y a des secteurs où on ne peut pas aller. Voilà, ce qui fait qu’aujourd’hui, il y a des partenaires qui ne veulent pas nous accompagner dans les activités », avance le promoteur de spectacles, l’air songeur.

Situation sécuritaire oblige, certains de ces acteurs culturels ont changé leurs plans. Si Grand docteur a ciblé les zones où le défi sécuritaire est moindre et les festivals dans les grands centres urbains, Miss Wedra a fait un virage à 180 degrés. Pour elle, cela fait plus de deux ans qu’elle n’a pas fait de tournée à l’intérieur du pays. Pour ne pas se ronger les ongles, elle a ouvert un institut de beauté, en attendant que les choses reprennent.
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« Ça fait bientôt près de 16 ans que j’ai fait la formation. J’ai eu la chance d’ouvrir un petit coin, comme vous le voyez. Quand je n’ai pas de scène, quand je n’ai pas de prestation, je viens m’asseoir pour essayer de m’occuper et occuper l’esprit. Ça me permet aussi de mettre mon essence », explique l’artiste. Ainsi, ce qui était un passe temps s’est transformé un gagne-pain.
David Sanon, chercheur à l’Institut Free Afrik, constate que « la majorité essaie de chanter la musique qui nous interpelle sur la situation ». Il suggère ainsi que les artistes soient résilients. Cependant, il déplore également que les artistes sont dans une époque dans lequel le support (cassette, CD) ne se vend plus comme par le passé. « Maintenant que ce n’est plus le cas, c’est pénible. Il va falloir redoubler de génie pour créer des conditions où les spectacles sont plus petits dans les quartiers ou voire, réduire le coût d’accès à certains spectacles », poursuit-il espérant que cette option puisse permettre à des spectateurs sans beaucoup de ressources d’assister aux spectacles. Cependant, plusieurs festivals et concerts se tiennent dans certaines villes du Burkina Faso comme preuve de résilience.
Boureima DEMBELE