Ils ont fui le terrorisme au Sahel ou au Nord pour se réfugier à Kaya, dans la région du Centre-Nord. Ces jeunes élèves dont certains ont été témoins des pires atrocités tentent de se reconstruire une nouvelle vie. Aides-maçon sur les chantiers ou foreurs dans leur ville d’accueil, ils multiplient les petits boulots pour financer leurs études.
A 18 ans, la vie d’Issaka Baggnan est faite de fuites ces deux dernières années à cause des attaques terroristes. Natif de Koutougou dans la région du Sahel, sa vie a changé après l’assassinat du maire de cette commune du Sahel le 8 avril 2018. « Le lundi qui a suivi, les enseignants ont fui et les classes ont été fermées», se rappelle le jeune qui faisait alors la classe de 4e. Pris dans ce climat de violence, lui et sa famille se réfugient à Arbinda toujours dans la région du Sahel. La situation sécuritaire va encore se détériorer. « Là aussi, quelques mois après, les terroristes ont attaqué cette commune, on a continué à Kaya », explique-t-il. Conséquence de ces fuites en pleine année scolaire : deux années blanches pour lui. Issaka devrait faire la classe de Terminale en cette rentrée scolaire 2020-2021, mais il est toujours en 3e.
En cette soirée du 24 septembre, nous le retrouvons, alors qu’il vient de finir les cours. Issaka Baggnan a pu se réinscrire dans un établissement privé de la ville de kaya. Mais les frais de scolarité sont comme une épée de Damoclès qui plane sur sa tête. « On réclame déjà la première tranche des frais. Souvent on nous fait sortir parce qu’on n’a pas payé », marmonne le jeune homme. Pour financer ses études, Issaka multiplie les petits boulots dans sa ville d’accueil. « On fait le manœuvre, on creuse des trous pour financer nos études, pendant les vacances et les congés », explique-t-il. Quand on lui demande ce qu’il voudrait devenir plus tard, il esquisse un léger un sourire et après hésitation, il déclare son amour pour le métier des armes, en lien avec sa propre expérience avec l’insécurité. « C’est la gendarmerie que je veux(…) pour lutter contre les terroristes. Si je pouvais avoir une arme, j’allais retourner au village pour me battre, parce que j’ai tout perdu », se défend Issaka.
« Il y a beaucoup de gens que je connais qui ont été tués, je suis traumatisé »
Avec Issaka, Ousmane Sawadogo partage un destin presque similaire. Depuis juin 2019, le jeune élève de 18 ans en classe de seconde, ressortissant de Silmagué dans la commune de Bouroum, région du Centre-Nord, vit désormais à Kaya. Les souvenirs de l’attaque terroriste qui l’ont fait fuir sont encore vivaces dans sa mémoire. « Le 10 juin 2019 à 6h du matin, des hommes armés ont attaqué le village. Ils étaient plus de 60 sur des motos, avec des fusils, des lances roquettes. Ils ont tué plus de 20 personnes. On a couru plus de 70 km à pieds, sans chaussures, pour arriver à Pissila ». Cette commune de la province du Sanmatenga ne sera pas un havre de paix pour longtemps. Une semaine après son arrivée, la commune est attaquée, l’obligeant avec sa famille et lui, à mettre le cap sur Kaya, la capitale de la région.
Bien qu’ayant la moyenne pour passer en classe supérieure, Ousmane a préféré reprendre la classe de 2nde. Il justifie son choix. « Avec le bruit, mon cerveau est très, très perturbé. Il y a beaucoup de gens que je connais qui ont été tués, on ne peut pas ne pas être traumatisé », reconnait celui qui voudrait devenir journaliste. Pour se donner une chance de poursuivre ses études, le jeune déplacé interne a précipité son entrée dans la vie active. « J’ai moi-même financé une partie de mes études. Les samedis et dimanches, je travaille sur les chantiers de construction. La journée, je ne mange pas souvent. Je garde les 2000 FCFA que je gagne, c’est ainsi que j’ai payé ma scolarité », déclare-t-il, non sans fierté.