En posant mon regard dans le rétroviseur de 2020, les images se bousculent. Ce fut une année faste pour le jeune journaliste que je suis. Souvent dans un entêtement que d’aucuns ont qualifié de suicidaire, nous avons raconté des vies de ces Burkinabè pris dans les tenailles des terroristes, des conflits communautaires et des exécutions sommaires. Une année aussi marquée par des choix et des lauriers. Je vous propose 5 dates qui m’ont marqué durant cette année qui se meurt progressivement.
8 avril 2020 : ça n’arrive pas qu’aux autres
Je rencontre deux familles de déplacés internes à la lisière de Ouagadougou, sortie ouest. Les sujets du reportage ont fui les attaques terroristes et les exécutions sommaires. Dans les échanges , je me rends compte que nous venons du même village, Cissé, situé entre Pobé Mengao et Djibo. Pis, ce sont eux qui m’apprennent que mon oncle a été exécuté à la sortie d’une mosquée. Une douche froide. Somsoré Sawadogo, c’était son nom. Un sourd muet, embarqué et tué avec d’autres personnes.
13 mai 2020 : Namsiguia-Djibo voyage en zone assiégée par les terroristes
Pour la énième fois je me rends à Djibo. Mais cette fois, les choses sont différentes. L’axe Namsiguia-Djibo long de 36 km est sous blocus depuis plusieurs mois. Le jour du départ, deux autres journalistes sont du voyage. On apprendra que des invitations ont été envoyées aux différents organes de presse qui ont décliné. Ils ne veulent pas mettre la vie de leurs journalistes en danger.
Ce fut le voyage le plus sécurisé, mais le plus stressant de ma carrière de jeune journaliste. Le long cortège est ouvert par des binômes en moto, précédés par des Pick-ups et des blindés militaires. A partir de Namsiguia, c’est un hélicoptère qui nous accompagne jusqu’à Djibo. Sur la route, des cadavres jonchent la piste non bitumée. On aperçoit des véhicules abandonnés sur lesquels on remarque des impacts de balles. Une belle expérience professionnelle de journalisme de terrain toujours avec la peur de l’inconnu.
16 mai 2020 : à Tanwalbougou, des vautours dévorent des restes humains
A Tanwalbougou, 45 km de la ville de Fada N’Gourma, nous y étions quelques jours après un drame. Le 11 mai 2020, 25 personnes sont interpellées par la gendarmerie. Quelques heures plus tard, douze sont annoncées mortes en cellule. Les corps sont pourtant ensanglantés et emballés dans des sacs en plastique à l’enterrement, laissent planer de fortes odeurs d’exécutions sommaires.
C’est presqu’un no man’s land que nous retrouvons dans l’après-midi du 16 mai. L’instant le plus marquant de ce voyage a été de voir des images de cadavres, trois, décomposées que les riverains ont peur d’enterrer, par crainte d’être traités de collaborateurs des présumés terroristes abattus. Certains nous confieront que ce sont les charognards dans le ciel qui alertent souvent de corps sans vie dans la nature, ou des chiens qui ramènent des restes humains dans les domiciles.
6 juillet 2020 : début d’une aventure à Studio Yafa /Fondation Hirondelle
Après plus de 6 années passées à lefaso.net, média en ligne d’information, la décision est prise de partir. Vivre d’autres expériences. Dans la soirée du 30 juin, assis le regard perdu dans le vide, je ne pus m’empêcher de penser à ces années à courir dans tout le Burkina Faso. D’Est en Ouest, du Nord au Sud pour rendre compte des événements, raconter des vies. Mettre les éléments et les évènements en lien. Dans le journalisme de terrain, on ne voit pas le temps passé.
Plongé dans mes souvenirs, recherchant le fait le plus marquant de ces années passées dans ma jeune carrière, un événement m’arrache un sourire, une satisfaction profonde. A Wan dans la commune de Bondigui, province de la Bougouriba, en octobre 2017, quand nous écrivions un grand reportage sur les écoles sous paillote, une banque de la place nous contacte et promet de donner une suite.
Une pause de première pierre est faite en décembre de la même année. En juin 2018, une école comprenant d’autres infrastructures de plus de 50 millions est inaugurée. En juillet 2020, une nouvelle aventure débute pour moi, à Studio Yafa, un projet de la Fondation Hirondelle. Des nouveaux défis, dans un environnement certes différent, mais toujours avec le même sacerdoce, INFORMER de façon professionnelle.
23 octobre : Super Galian, prix du meilleur journsliste burkinabè
Je suis sacré meilleur journaliste de l’année 2020, à la 23e édition des Galian. Les deux grands reportages à Djibo et à Titao sont plébiscités par le jury. Un prix que j’ai reçu avec beaucoup d‘humilité et de reconnaissance en Dieu pour ses bienfaits, sa protection. Une reconnaissance également envers mes anciens collaborateurs. Au-delà des honneurs, j’appréhende ce prix comme une mise à l’épreuve dans la suite de ma carrière. Mériter chaque jour ce titre. Ne pas toujours se contenter de ce qui est à portée de main. Sortir des sentiers battus.