Sur les scènes européennes, Roukiata Ouédraogo s’est imposée en quelques années. Ce n’était pas gagné d’avance. Arrivée en France il y a 21 ans, la jeune burkinabè a dû braver les préjugés, revoir ses ambitions à la baisse, multiplier les petits boulots, faire face au racisme. Son accent mossi, présenté à ces débuts comme un handicap, la jeune dame en a fait une force, une identité qu’elle garde jalousement. Son expérience, elle la partage avec la jeunesse Burkinabè, au détour d’un entretien, alors qu’elle était de passage à Ouagadougou.
Du rêve de styliste au théâtre
Je voulais faire du stylisme. Malheureusement, j’ai été confrontée au choc des cultures, on m’a fait comprendre que la mode n’était pas un milieu pour nous, femmes africaines. Finalement on m’a conseillé de faire un métier social, femme de ménage, caissière. J’ai trouvé cela dommage, mais j’ai suivi. J’ai fait femme de ménage, caissière au début pour gagner ma vie. Finalement je me suis dit que ce n’était pas fait pour moi, je peux aller plus loin que ça. On m’a proposé de poser comme modèle dans une école de maquillage. J’ai fait 12 années dans le métier de la mode, et après j’en ai eu marre, je voulais voir autre chose. J’aime l’art et je voulais m’exprimer autrement.
J’avais un accent assez prononcé, les gens me renvoyaient trop souvent à mon accent. J’ai donc décidé d’aller prendre des cours de prise de parole. J’ai fait une semaine et mon professeur m’a dit que j’avais quelque chose et que je devrais faire de la scène.
Alors du lundi au mercredi j’allais à l’école, les vendredis et samedis je travaillais en intérim comme maquilleuse et dans les parfumeries. C’est ainsi que j’arrivais à payer mon loyer et mes cours de théâtre qui étaient très chers.
L’accent, une identité conservée
Au début je passais des castings, on me disait que j’ai un accent très prononcé et qu’on ne peut pas me prendre pour un film. Mais à côté, quand tu es italienne, espagnole, américaine, anglaise, tu as aussi un accent mais on t’accepte. Mais nous on ne veut pas de notre accent africain, pourquoi ? A un moment donné, j’ai été complexée par mon accent au point de ne plus vouloir parler, faire des castings. Il y a des amis comédiens qui m’ont dit, Rouki, il faut que tu prennes des cours pour gommer ton accent. J’ai même essayé, je n’ai pas honte de le dire, mais ce n’était pas moi, c’était quelqu’un d’autre. Et même là, quand je partais pour les castings avec cet accent, ça ne marchait pas. A un moment donné, j’ai dit stop. Je suis comme je suis, vous me prenez ou pas, je ne vais pas changer pour quelqu’un.
Il faut avoir confiance en ce qu’on fait, en ce qu’on est. A partir de ce moment, tu peux faire de ton défaut une qualité. J’assume pleinement mon accent et c’est devenu une qualité. Au début j’ai essuyé des critiques, des gens disaient que je ne parle même pas le français. Aujourd’hui je fais des voix pour des documentaires, des dessins animés pour des films et j’en suis fière.
Pourquoi pas de spectacle au Burkina Faso ?
J’ai vraiment envie de venir au Burkina Faso, mais personne ne m’invite. Au début, ça m’a fait un peu mal. Mais je me suis dit qu’il ne fallait pas courir derrière les choses, elles viendront naturellement. Au début quand je venais jouer ici, je payais mon billet d’avion, je louais une salle et mes billets étaient vendus à 500 et 1000 F CFA. Je voulais surtout partager des moments avec mes compatriotes.
Aujourd’hui je suis passée à un autre stade, j’ai une maison de production. Aujourd’hui mon spectacle ne m’appartient plus totalement parce que j’ai signé avec une maison de production qui me dit où jouer, avec mon consentement bien entendu. A ce stade il n’a pas encore fait des démarches pour que je vienne jouer en Afrique. On a des dates qui s’étalent jusqu’en 2022. Le moment viendra où je pourrai venir au Burkina, pour mon public, ceux qui me suivent, qui m’encouragent depuis des années.
La course quotidienne de Roukiata
Il suffit juste de s’organiser. J’ai la chance d’avoir un mari extraordinaire, je le dis à chaque fois, je remercie le ciel de m’avoir envoyé cet homme qui comprend mon métier, qui m’aide et qui me soutient énormément, qui prend plaisir à être à mes côtés. Avec l’arrivée de l’enfant, j’avais peur que cela soit un frein à ma carrière, mais non. C’était le contraire, dès qu’il est venu au monde, mes contrats ont commencé à partir de gauche à droite. Aujourd’hui j’ai le luxe de refuser des projets (Rires). Je me réveille à 4h du matin. Après la tété de 4h du matin, je n’ai plus sommeil. Je prie, je prends mon ordinateur et j’écris. A 7h, mon petit loulou se réveille, son papa se réveille aussi.
On prend le petit déjeuner, je vérifie mes mails je réponds, mon attaché de presse m’appelle et j’honore les rendez-vous, à Paris (je suis à 85 km de là). Derrière le véhicule je continue à travailler, c’est là que j’écris mes chroniques. Je fais mes interviews et autres réunions. Si j’ai des projets à rendre, je continue de travailler jusqu’à minuit voire 1 h du matin avant de me coucher. Avant j’aimais beaucoup dormir, mais depuis que j’ai l’enfant, j’ai appris à faire des nuits courtes. Si je dors 3h, ça me suffit. C’est une question d’organisation.
Message à la jeunesse Burkinabè
Vous avez la chance d’être jeune, donc vous avez l’avenir devant vous. L’avenir se construit et ça se construit dès maintenant. J’ai envie de vous dire de vous informer, c’est important de s’entourer de bonnes personnes qui peuvent vous amener à réfléchir, à prendre d’importantes décisions. Il ne faut jamais baisser les bras. Il faut se lever et tenir tête à son destin. Je vous encourage à beaucoup lire. Si je savais j’allais lire beaucoup très tôt. Apprendre et faire des formations, même si c’est une heure dans la journée. Il ne faut pas passer des heures sur les réseaux sociaux.
Je suis très stratégique sur les réseaux sociaux, je ne publie pas n’importe quoi. C’est très important pour la jeunesse. Quand je fais un travail qui est plaisant, quand je fais un spectacle et que les gens applaudissent, mon équipe filme et on publie. Forcément ça va intéresser des programmateurs. Ils vont commencer à parler entre eux et vont venir. A mes débuts, sans producteurs, 90% de mes spectacles étaient vendus sur Facebook, je publiais et ça faisait venir du monde.