Quel est l’état de la démocratie au Burkina Faso, au Mali et au Niger? Trois pays qui ont en commun, en plus d’une situation sécuritaire difficile, l’avènement de pouvoirs militaires. Studio Yafa pose le débat. Autour de la table, trois invités de profils différents. Une anthropologue, un politicien et un acteur de la société civile. Ils dressent l’état des lieux de ces démocraties pour ensuite faire une prescription pour l’avenir de ce système de gouvernance. Les invités de Ya’Débat regardent ces pays comme là où la démocratie se retrouve encasernée.
Une crise de la gouvernance couplée à la vie chère. Conséquence, les militaires entrent dans l’arène politique en s’emparant du pouvoir, avec en toile de fond également, la crise sécuritaire. C’est l’analyse de Dr Jocelyne Vokouma sur le plateau de Ya’Débat. « La question sécuritaire est une façon de corroborer tous ces processus, parce que la gouvernance est pratiquement au cœur de tout », défend l’anthropologue, maitre de recherches à l’Institut des Sciences des sociétés au Centre national de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST).
Lire aussi: Festival ciné droit libre, le futur de la démocratie en Afrique en débat à l’Université
Son co-débatteur Aziz Diallo, est presque sur la même longueur d’onde. Lui décline son analyse sur la gouvernance. Pour l’ancien député maire de Dori, il ne faut pas établir de lien entre la sécurité et la démocratie, mais plutôt entre l’insécurité et la gouvernance. « La situation d’insécurité n’est que la résultante d’une gouvernance qui a pataugé pendant quelques années », clame-t-il, avant d’expliquer que les principes de la bonne gouvernance doivent accompagner la démocratie. Et du reste, c’est ce qui explique le soutien populaire dont ont bénéficié les coups d’Etat du Burkina Faso et du Mali, poursuit Aziz Diallo pour qui, les populations traversaient une période d’inquiétudes, de morosité, de pauvreté, de lassitude.
Quand un coup d’Etat survient alors que les populations sont dans un sentiment d’abandon, elles font le portrait-robot d’un messie de qui elles attendent la sécurité, de la rigueur. Un argument avancé par Pierre Simon Doamba. « Le militaire apparait comme le profil type. Et c’est ce qui a favorisé l’acceptation de ces coups d’Etats », déclare sur le plateau, le chargé de suivi-évaluation au Centre pour la Gouvernance démocratique (CGD). Plus loin que ses deux prédécesseurs, Simon Doamba fait le lien entre les coups d’Etat au Burkina, au Niger, au Mali et en Guinée avec le contexte international marqué par la guerre entre les grandes puissances mondiales.
Des démocraties en construction
Dr Vokouma revient et apporte un autre élément en lien avec la jeunesse des démocraties africaines et les coups d’Etat à répétition. Elle en veut pour preuve que « dans les démocraties consolidées, ce sont des choses qu’on ne voit pas ».
Le plateau s’anime quand elle ajoute que « quand le militaire sort de caserne pour venir mettre de l’ordre, c’est son rôle aussi, parce que l’Armée est là pour l’ordre et la défense nationale ». Aziz Diallo ne partage pas ce point de vue. «Les questions de démocratie et de coups d’Etat sont purement antagoniques. C’est l’un ou l’autre. Le coup d’Etat est une contre-démocratie », réplique l’ancien député maire. Sa position est que l’immixtion de l’Armée dans la vie publique déstabilise les institutions. Et si un militaire veut faire de la politique, qu’il se débarrasse de son treillis en démissionnant, comme les textes le préconisent, ajoute-t-il.
Accueillis en messie à leur prise de pouvoir peut-être, mais Simon Pierre Doumba fait regrette qu’une fois l’euphorie passée, les militaires peinent à faire mieux que ceux qu’ils ont renversés. Pour étayer son argumentaire, il prend les exemples du Burkina et du Mali. Dirigés désormais par des militaires, ces deux pays ont toujours mal à leur sécurité, avec les attaques terroristes qui sont encore enregistrées. Le chargé de suivi-évaluation au Centre pour la Gouvernance démocratique (CGD) soutient que les acteurs civils ou acteurs militaires ne pratiquent pas la démocratie.
Repenser la démocratie
Les invités de Ya’Débat sont tous d’accord sur une chose : l’Afrique a mal à sa démocratie. Mais de là à dire que les Africains ne sont pas faits pour la démocratie, Aziz Diallo s’offusque. « A partir du moment où on fait le choix de la démocratie, il faut qu’on s’assure que cette démocratie est connue et cela n’est pas uniquement la responsabilité des partis politiques dans ce cas », préconise-t-il.
Expliquer, sensibiliser sur les valeurs de la démocratie, le rôle du citoyen, prescrit Aziz Diallo qui regrette que l’un des handicaps de la démocratie en Afrique soit l’analphabétisme et le manque d’éducation des populations. « Or cela est incompatible avec la démocratie », note-t-il, tout en ajoutant que c’est ce qu’exploitent les politiciens pendant les périodes électorales.
Quant à Dr Vokouma, il y a nécessité de repenser la démocratie qui selon elle, dans son architecture ne colle plus à la société, 60 ans après. Elle reste convaincue que « le peuple doit être outillé par des capacités de connaissances pour savoir interférer, décider et participer ».
Ecouter l’intégralité du débat:
Boureima Dembélé