A Karangasso Vigué, 46 Km de Bobo-Dioulasso, Alizèta Rouamba gère un véritable empire. 20 hectares de terrain pour, entre autres, cultiver des céréales, élever des petits ruminants et de la volaille, fabriquer de l’engrais organique. Titulaire d’un diplôme de technicien supérieur d’agriculture, la mère de deux enfants a fait le choix de retourner à la terre, après son BAC. Grâce à une connaissance parfaite de son affaire, elle emploie 36 personnes et génère environ 50 millions de F CFA de ressources à la fin de chaque saison agricole.
Du vert à perte de vue. Des feuilles luisantes sous un soleil ardent. Nous sommes dans le champ de Alizèta Rouamba, en pleine saison pluvieuse à Karangasso Vigué, une quarantaine de kilomètres de la deuxième ville du Burkina, Bobo. Les différentes spéculations promettent une saison agricole des plus généreuses. A pas rassurant, Alizèta avance sur ses terres et scrutent au loin.
Du maïs, de l’arachide et du soja en pleine croissance. « Dans le maïs avec les variétés hybrides on est entre 5 et 6 tonnes à l’hectare. Les composites c’est 3,50 à l’hectare. Bien vrai qu’on investit quelque chose, mais il y a du bénéfice », explique la cheffe d’exploitation, le sourire en coin.
Le choix de travailler la terre à grande échelle, elle l’a fait il y a maintenant six années. Et au fil du temps, elle avoue ne pas le regretter. « Je suis allée à la terre parce que j’avais confiance que je pouvais réussir là-bas. La Fonction publique, je ne dis pas que ce n’est pas bon, mais j’ai vu que travailler la terre va m’amener très vite là où je veux, plus qu’être de l’autre côté où je vais juste me contenter de la fin du mois », commente-t-elle.
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Une idée claire de ses ambitions facilitée aussi par son environnement et encouragée par son époux. « Depuis l’enfance on entendait que la terre ne ment pas, moi j’ai voulu tenter ça et voir le résultat. Et Dieu merci c’est presque acquis et c’est réel », se réjouit la mère de deux enfants.
Alizèta Rouamba ne se contente pas seulement de labourer la terre. En plus de cela, elle est également dans l’élevage de petits ruminants et de volailles. Pour elle, ces deux activités sont liées. « On utilise les excréments des animaux pour le compost qu’on remet dans les champs. Et on utilise ce qu’on gagne dans le champ pour nourrir les animaux. Chaque année c’est plus de 1000 volailles que nous faisons sortir, et les chèvres aussi au moins 100 ou 150 têtes », explique l’agrobusiness woman.
Un troisième aspect de son domaine, c’est la fabrication et la vente de l’engrais bio. En la matière également, son nom compte dans la région des Hauts Bassins. Plusieurs cordes donc à l’arc d’une dame qui a multiplié des formations en santé animale et en agronomie. Des connaissances qui lui permettent de minimiser les risques et rentabiliser toutes ses activités. Alizèta Rouamba emploie au total 36 personnes dont 17 à temps plein et 19 à temps partiel.
Se tenir droite devant les préjugés
Quand on lui demande à combien elle s’attend comme bénéfice à la fin de la saison, elle ne fait pas de mystères. « Chaque année si on travaille bien, nous tournons autour de 50 millions de F CFA, souvent ça dépasse », dit-elle, avec assurance, de quoi écarquiller les yeux des reporters.
Derrière le sourire de Alizèta Rouamba, traduction d’un accomplissement, se cache un tableau moins rose. Une femme à la tête de cet empire ? La réalité ne passe pas chez beaucoup d’hommes. Du coup, la femme d’affaire a dû faire face à des préjugés. Des obstacles sur la marche vers l’égalité homme-femme même dans le monde agricole.
Amère quand elle évoque les obstacles auxquels elle a dû faire face, Alizéta Rouamba ne lésine pas sur les mots. « Le domaine de l’agriculture c’est de la mafia hein », tranche-t-elle.
Elle dit avoir été piétinée, en tant que femme. Pire encore. « On salit ton nom, on te fait des avances on utilise tes projets, tout. J’ai même eu à faire ici un croisement de volaille, ils m’ont pris ça, mais je ne peux pas parler. Souvent lors des rencontres les hommes ne veulent pas qu’on parle ; parce que nous on va dire des choses qui ne les arrangent pas », regrette-t-elle.
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Femme de caractère, elle a dû claquer la porte de deux organisations paysannes. Heureusement, dame Rouamba peut compter avec le soutien de son mari qui ne cache pas sa fierté face à la ténacité de son épouse, modèle pour les femmes et même pour des hommes. « Je suis vraiment fier d’elle », déclare l’époux, les yeux brillant de bonheur.
Rien n’était gagné d’avance poursuit-il, même quand il a décidé de l’accompagner depuis la formation jusqu’à l’acquisition du terrain d’exploitation.
« Après sa formation, j’ai payé le terrain pour qu’on travaille ensemble. Honnêtement je suis très fier d’elle parce qu’elle travaille. Et quand elle dit quelque chose en rapport avec le travail, je ne discute pas. Je la soutiens. Parce qu’elle a fait des études, elle s’y connait mieux que moi dans le domaine », reconnait l’époux visiblement comblé.
En deçà de la demande
L’agriculture nourrit-il son homme? Bien plus que cela, réplique Alizèta Rouamba pour qui, comme tout travail, il faut savoir intégrer le secteur. Elle avoue ne pas avoir de problèmes d’écoulement de ses produits. Bien au contraire, elle n’arrive pas à satisfaire la demande. « En réalité la production est déjà vendue avant la récolte parce que nous signons des contrats avec des entreprises. Par exemple notre arachide et notre maïs sont bien prisés parce qu’ils sont sans aflatoxines ».
Bien que loin des projecteurs la plupart du temps, la réussite de Alizèta Rouamba attitre de la curiosité. Déterminée à aller encore loin et à exploiter son potentiel, elle s’est fait sa philosophie. Malgré son éloignement des grands centres urbains, c’est la qualité de son travail qui attire de la lumière sur elle. « C’est le travail qui rend visible. C’est notre travail qui nous a donné de la visibilité. On a travaillé et les gens ont cherché à nous rencontrer », dit-elle sobrement.
Aux filles et femmes qui désirent se lancer dans l’agrobusiness, Alizèta Rouamba leur conseille de bien se préparer en connaissance certes, mais surtout à se forger une carapace solide pour résister aux idées reçues et entraves de toutes sortes.
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