Au Burkina, des journalistes et des médias subissent des menaces, des intimidations et des pressions, dans l’exercice de leur profession. Pris en tenaille entre une opinion publique de plus en plus exigeante et un pouvoir qui leur reproche de démoraliser les troupes par la diffusion de certains contenus, les journalistes s’interrogent sur le devenir de leur métier. Studio Yafa pose le débat dans un panel qui interroge la liberté de presse dans un contexte de crise. C’était ce jeudi 19 Octobre 2023.
Un reportage en début de panel pour planter le décor. On y entend clairement le ministre de la communication affirmé que la crise que traverse le Burkina est aussi une guerre de communication. «Nous n’allons pas accepter qu’au nom d’une quelconque liberté, ces lignes puissent être franchies » a-t-il affirmé dans cet élément réalisé par un journaliste de la rédaction.
Les réactions ne se font pas attendre. Deux des trois panélistes se veulent intransigeants. «Dans un tel contexte, on ne peut pas parler de liberté de la presse», s’insurge Arnaud Ouédraogo. Pour le coordonnateur de la cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO), les propos du ministre sous entendent qu’il y a des sujets que les journalistes n’ont pas le droit de traiter.
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Pourtant, «la liberté de la presse est un principe intangible» soutient Martin Faye, représentant pays de la Fondation Hirondelle au Mali. Pour celui que le modérateur a appelé « le doyen », peu importe le contexte, les règles sont les règles et il faut respecter la liberté de la presse.
A contre-courant de ses prédécesseurs, Idriss Ouédraogo journaliste de formation et communicant de métier relativise. Selon lui, même en période de paix, s’exprimer requiert une certaine retenue. Il n’y a donc pas de quoi fouetter un chat, la situation des journalistes est juste conforme au contexte.
Les journalistes Burkinabè, « des super citoyens »?
Le plateau s’anime. A chaque intervention, les propos de Idriss Ouédraogo sont complètement aux antipodes de ceux de ses co-panelistes. Les faits sont têtus, insiste-t-il, avant d’ajouter que selon les chiffres de Reporter Sans Frontière, aucun journaliste Burkinabè n’a été emprisonné encore moins tué dans l’exercice de ses fonctions, dans ce contexte.
Comme plusieurs personnes dans différents corps de métiers, les journalistes ne sont pas épargnés par le contexte actuel.« le journaliste n’est pas un super citoyen», lance Idriss Ouédraogo.
Et pourtant, lui rétorque Arnaud Ouédraogo, il y a bel et bien et de plus en plus des intimidations, des menaces, des injures. Pour le coordonnateur de la CENEZO, aucun journaliste ne se prend pour « un super citoyen » au point de travailler en dehors de ce que les textes lui permettent de faire.
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Bien au contraire, poursuit Arnaud Ouédraogo, les journalistes sont tellement conscients de leur responsabilité qu’ils ne font pas bien leur travail par moment. Ils s’auto censurent. En dépit de cette privation « Il y en a qui ne vivent plus chez eux parce qu’ils sont contraints par les menaces » se désole le plus jeune des panélistes.
Crescendo, le mercure monte, le modérateur Martin Kaba gère du mieux qu’il peut les temps d’intervention, mais c’est difficile. Les panélistes semblent ne pas s’accorder sur les points de vue. Dans la foulée, la parole est remise à l’auditoire. Une étudiante en communication veut savoir si le recul du Burkina au classement mondial de la liberté de presse est le fait de l’avènement du régime actuel.
La question qui semble embarrassante est adressée à tous les panélistes. Seul point de convergence depuis le début des échanges. Les trois co-débatteurs sont unanimes. La transition pourrait l’avoir accentué mais, ce recul ne peut en aucun cas être entièrement imputé au MPSR2.
Repenser la façon de faire le journalisme
«Il faut adapter la plume au contexte». C’est la solution que propose Idriss Ouédraogo. Les journalistes en leur sein doivent reconsidérer leur façon de faire parce que la situation l’exige, insiste-t-il en ajoutant que les journalistes n’aiment pas la critique.
Martin Faye, lui propose un assainissement du milieu comme cela a été le cas au Sénégal par la redéfinition des conditions d’octroi de la carte de presse. Aussi, il soutient la nécessité de la formation parce que le trop peu de formation et le manque de professionnalisme de certains journalistes décrédibilisent le métier.
Dans le même sens Arnaud Ouédraogo avoue avoir du mal à considérer certains journalistes comme ses confrères. Certaines productions ne répondent pas aux exigences du journalisme, constate-t-il. Pour lui donc, un assainissement du milieu des animateurs des médias serait la bienvenue.
Plus d’une heure et demie d’échanges avec un public attentif. Le panel «Quelle liberté de presse dans un contexte d’insécurité et de transition» s’est tenu dans le cadre de la 10e édition du Festival international de la liberté de presse (FILEP) qui se tient à Ouaga du 14 au 22 octobre 2023. Le panel s’est également tenu à la veille de la journée nationale de la liberté de presse qui est célébré chaque 20 octobre.
Ismaela Lagoun Drabo (Stagiaire)