La production du poulet local encore appelé poulet bicyclette connait une régression au Burkina Faso ces dernières années. Selon les données statistiques nationales, la production nationale de poules locales avait atteint un record de 71 816 000 têtes en 2013 avant de chuter jusqu’à 36 794 000 têtes en 2019, soit une baisse de plus de 48% en l’espace de cinq ans. Cette chute de la production s’est accélérée à partir de 2017, passant de 62 475 000 têtes à 36 794 000 têtes en 2019, soit une chute vertigineuse de plus de 40%.
Ouagadougou. Quartier Tampouy. Devant un espace de grillade de poulets à l’ail, une dizaine de personnes attendent d’être servies. Un tas de charbon brûle sous une grille et la fumée distillée parfume aiguisant l’appétit et l’imagination que la chair de poulet a un bon goût. La graisse de chair qui tombe sur le feu dégage encore plus de fumée et plait à l’odorat.
Lire aussi: Poulet bicyclette : le Burkina veut labelliser sa saveur particulière
Sur sa table, le boucher découpe une vingtaine de poulets déjà grillés alors que d’autres grillent toujours sur le feu. Avec un pinceau qu’il trempe dans de l’huile, puis dans un mélange d’épice avant de le faire passer sur la chair, l’idée faite de la saveur et le goût du poulet se laissent facilement voir sur les visages des clients.
Après une dizaine de minutes d’attente dans son véhicule, Irène Ky est finalement servie. C’est du poulet de chair. Pourtant, le vendeur l’avait bien rassurée que c’est du local. Obligée de prendre malgré elle. « J’aurais voulu avoir le poulet de chez nous. C’est encore plus doux et appétissant même si ça coûte plus cher » a-t-elle souhaité.
Le client est roi
Malgré son goût unique et sa saveur beaucoup appréciée des consommateurs, le poulet bicyclette ne semble maintenant exister que de par son nom. Il est délaissé au profit des poulets de chair, plus gros, bien charnus et surtout vendus à moindre coût. C’est l’une des raisons qui expliquerait sa rareté sur le marché.
Soumaïla Tiemtoré, grilleur de viande écoule 60 à 100 gallinacés en fonction des jours. « Les gens préfèrent les poulets qui sont gros et certains clients, même s’il y a du poulet local, ils préfèrent les autres races parce qu’ils trouvent que le local est petit. Les gens aiment le poulet de chair, en plus, ça coûte moins cher », relate l’homme de la trentaine.
Lire aussi: Grippe aviaire au Burkina : « On risque de perdre le poulet bicyclette, notre espèce locale »
Pendant ce temps, deux dames arrivées à peine, sont en train de lutter les gros morceaux de poulets toujours sur le feu. « Celui-ci semble petit donc je vais prendre le plus gros avec un autre de plus », lâche l’une d’entre elles à l’un des employés de Soumaïla.
Un tour dans un maquis au quartier Rimkieta de Ouagadougou, Antoine et ses deux compagnons sont à table. Au menu, du poulet (de chair) flambé et des boissons. Les jeunes reconnaissent le bon goût du poulet du Burkina, mais préfèrent ce qui coûte moins cher. « Si on veut bien se rassasier, forcément on prend le poulet de chair. Non seulement il est plus gros, mais en plus il coûte moins cher » s’est-il justifié.
Mais pourquoi le poulet local se fait-il rare ?
Pendant longtemps, le poulet local a été le premier choix des consommateurs. Evènements, fêtes, grillade, etc., il était au menu. Aujourd’hui, la tendance a changé d’après Mamadou. Du haut de ses 30 ans d’expérience dans l’élevage de poulets locaux, le sexagénaire tire une conclusion. « De plus en plus, les gens se tournent vers le poulet local uniquement pour faire les sacrifices…Pour cela, ils peuvent acheter le coq à 5 500 F CFA », regrette-t-il en montrant du doigt un coq, bien en forme avec une crête rouge.
Dans une autre ferme, Séni Sana, d’un simple son de la bouche et des graines de sorgho mobilise ses quelque 500 poulets et pintades locaux. Plusieurs centaines de têtes qui sortent difficilement.
A écouter aussi: Le poulet local, une espèce en perte de vitesse
Selon le producteur, les poulets de chair constituent une menace pour les producteurs de poulets locaux. « En seulement trois mois, tu peux vendre le poulet de chair parce qu’on leur donne des vitamines qui accélèrent leur croissance. Pourtant, nos poulets locaux, on les nourrit de nos graines de céréales naturelles et ils prennent du temps pour grandir. Cela fait que les clients préfèrent aller là où ils peuvent en avoir rapidement plutôt que d’acheter nos poulets », fait-il savoir. Selon les statistiques, les viandes importées dont la facture des importations est passée de 169 millions en 2017 à plus de 500 millions en 2019 explique la régression de la production du poulet local.
Vers une concurrence entre poulet locale et les autres races
Vendu à prix d’or sur le marché, le poulet du Burkina est en perte de vitesse malgré les multiples initiatives visant à le promouvoir. D’abord labélisé poulet bicyclette en 2022 par le ministère en charge de l’Industrie et du Commerce, plusieurs autres manifestations dont des foires ont également été initiées pour le promouvoir.
A Poa, une fête du poulet local se tient chaque année pour « promouvoir et encourager la production du poulet local. Des prix sont même décernés aux meilleurs producteurs ».
Lire aussi: Koudougou: Les asticots comme plan B pour la volaille
Selon le promoteur de cet évènement, il faut encourager la production du poulet du Burkina au risque de le voir perdre sa place face aux autres races de poulets. « Avec le temps, il va falloir qu’on travaille à ce que la production suive. Sinon, la tendance va s’inverser parce que les gens ne regarderont plus la qualité, mais c’est le prix et cela n’est pas bon pour le producteur local » prévient-il. Le promoteur de la foire va plus loin en plaidant pour un accompagnement des producteurs de la volaille locale. « Il faut également que l’Etat accompagne les producteurs dans la formation et à travers les fonds pour leur permettre d’accroitre la production », lance-t-il.
Les critères pour reconnaitre le poulet local
Local amélioré, coquelets, poulets de chair, etc. Autant de poulets qui inondent le marché burkinabè créant parfois une confusion chez les consommateurs. Pourtant, plusieurs caractéristiques permettent de distinguer le poulet local des autres.
Selon l’ingénieur agronome à la direction générale des Productions animales, Moumouni Bikienga, « Le poulet local a souvent une apparence plus colorée par rapport aux autres poulets et leurs becs et les pattes sont noirs ».
Toujours en se référant à son physique et ses habitudes, « le poulet local a tendance à être plus petit que les races de poulets et ils sont plus minces et plus athlétiques et sont généralement plus actifs et aiment passer plus de temps à se déplacer librement à l’extérieur », fait-il savoir.
Au Burkina Faso, le besoin annuel en volaille est estimé à 100 millions de poulets. Selon des chiffres du ministère en charge des Ressources animales datant de 2018, la consommation journalière du poulet est de 80 000 têtes à Ouagadougou et 50 000 à Bobo-Dioulasso pour un chiffre d’affaires estimé à 400 millions de F CFA.
Faïshal Ouédraogo