A Ouaga, la vie continue mais la tension monte (1/5). Reportage sur la célèbre artère de la capitale.
Il est 15 heures sur l’avenue Kwame Nkrumah de Ouagadougou. La circulation autour de cette avenue d’où s’érigent, de part et d’autres, de grands immeubles reste dense. Des banques, des hôtels, des cafés, des commerces… Installés devant certains immeubles, des vendeurs de téléphones portables échangent et plaisantent en attendant l’arrivée de certains clients. Des marchands ambulants interpellent les passants et proposent divers articles. La vie suit son cours. Devant le bâtiment d’une agence de voyage, Samuel Abe Dimtounda, la quarantaine, fait du parking à une cinquantaine de mètre du Café Cappuccino.
En janvier 2016, ce café a été la cible d’une attaque terroriste. Samuel se souvient de chaque instant. Alors qu’il s’apprêtait à rentrer après son service aux environs de 19h30, trois terroristes ont ouvert le feu sur le café et le Splendid Hôtel. Le bilan fut lourd : 30 morts issus de onze nationalités.
Lire aussi : Deuil national, « C’est devenu comme quelque chose de normal »
Cet évènement a changé la vie sur cette avenue. Désertée un temps, des jeunes tentent de redonner vie à cette artère. « Aujourd’hui, c’est toujours difficile à cause des attaques mais on continue de sortir. Nous pensons que l’avenue Kwame Nkrumah a besoin de nous et c’est nous qui la faisons vivre », soutient Samuel installé depuis 1991. Il dit avoir vécu des moments inoubliables. Ce constat est partagé par Abdoul Karim Kassiga, la trentaine, vendeur ambulant.
« C’est notre champ de bataille pour nourrir nos femmes. Par contre, c’est une grande avenue, on ne peut pas la laisser mourir comme ça », soutient-il le sourire aux lèvres. Mais un certain ras-le-bol se fait aussi sentir sur l’avenue. La situation sécuritaire marquée par la multiplication des attaques terroristes exaspère. Chauffeur de taxi installé depuis 2017 sur l’avenue Kwame Nkrumah, Pascal Nacoulma estime qu’elle a perdu sa splendeur du passé. « Avant, en une journée, tu pouvais réaliser une recette de 25 mille francs CFA. Ce n’est plus possible. Les étrangers viennent rarement et ceux qui sont là ne réalisent pas de longs trajets », raconte le vieil homme. Il accuse les autorités burkinabè de laxisme dans la lutte contre le terrorisme.
Le sentiment d’abandon
Mardi 16 novembre, des jeunes ont organisé une manifestation pour dénoncer l’incompétence du gouvernement burkinabè dans la lutte contre le terrorisme. Trois jours plus tôt, une attaque terroriste dans le camp d’Inata, au nord du pays, a fait 53 morts, dont 49 gendarmes. « Ils envoient nos enfants à l’abattoir », dénonce-t-il avec colère. Le samedi 27 novembre, une autre manifestation a été dispersée à coups de gaz lacrymogène. Cette marche était illégale selon les autorités locales qui avaient aussi coupé Internet pendant une semaine.
Ici, la plupart des jeunes déplorent l’abandon de l’avenue par les autorités communales et gouvernementales. « Je pense qu’il serait bien dans un premier temps, de mieux éclairer l’avenue. Ensuite, il faut multiplier l’organisation de festivals pour redonner confiance aux gens », espère Abdoul Karim Kassiga.
Organiser des festivals
Une idée soutenue également par Dimtinda : « Hormis notre sœur du côté de taxi-brousse [un restaurant où s’étaient réfugiés les terroristes avant d’être abattus] qui tente d’organiser des activités pour garder la rue animée, il n’y a presque plus rien. Toute seule, elle ne pourra rien faire ». Il rappelle que ce sont les boites de nuit tels que le Jimmy’s, le Papa Gayo, le Pili Pili ou le Café des sports qui ont donné à cette avenue, sa renommée. Malgré la colère, ces jeunes ne comptent pas l’abandonner. Pour eux, ce serait comme la laisser entre les mains des terroristes.